Non classé

Apprendre à gérer les Ego

L’enseignement du départ de Carlos Tavarès

Fin mars 2025, nous publiions ce simple post sur LinkedIn, après lecture d’un article des Échos décrivant la dérive autoritaire du management de Carlos Tavarès  :

Carlos Tavarès

Carlos Tavarès                 (Tasnim News Agency)

L’analyse des difficultés de Stellantis se fait plus limpide, et riche d’enseignements, depuis que Carlos Tavarès est parti. Verbatims de hauts cadres dirigeants de Stellantis tirés de l’article ci-dessous : « Est-ce ses succès passés chez PSA et Opel ? Il était dans la logique d’avoir raison seul contre tous », « Il était devenu parano, pensant que son comex lui mentait », « Certains cadres dirigeants étaient tellement inquiets de sa réaction que, sans lui donner de fausses informations, ils faisaient de moins en moins remonter les sujets négatifs. Le problème, c’est que si les gens ne vous disent pas quand vous percutez la barrière de sécurité, vous finissez dans le ravin. 

Le syndrome de l’isolement du chef avait donc à nouveau frappé Stellantis ! (Les dirigeants avaient déjà fait ce genre de résistance larvée dans les dernières années de Jacques Calvet, qui présentent de nombreuses et troublantes ressemblances avec la fin de règne de Carlos Tavarès.) Une chance que les exigences de ce dernier n’aient pas produit les mêmes effets que celles de Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès chez France Télécom !

« Que faudrait-il faire en termes de gouvernance pour détecter plus tôt, comprendre et surtout éviter de nouveaux épisodes de crise sur fond de qualité dégradée et d’effondrement des parts de marché ? 🤨

Le débat qui s’en est suivi est particulièrement intéressant.

Qu’ont fait les administrateurs du Groupe ?

Quelques contributeurs mettent en cause plus ou moins directement les administrateurs, représentant des actionnaires, qui laissent faire tout et n’importe quoi tant que ça rapporte ! Résultat : les CEOs restent 3 à 5 ans trop longtemps en poste et mettent l’entreprise en situation de « vache à lait », produisant de gros dividendes au détriment d’une véritable préparation de l’avenir. Il faudrait savoir changer de CEO plus rapidement, une fois que les fruits de sa stratégie initiale sont mûrs, sans se laisser persuader que les miracles vont succéder aux miracles… Espérons en effet que la compétence et la perspicacité des administrateurs s’améliorent à la lumière de leurs expériences douloureuses. Sans doute la prise en compte des critères ESG reste-t-elle encore un peu trop faible pour permettre aux administrateurs de bien saisir les enjeux de pérennité et de rentabilité durable de leur investissement… Mais l’aspect le plus discuté a été celui du comportement managérial.

Qu’ont fait les cadres pendant ce temps-là ?

L’amiral Joire-Noulens

Plusieurs estiment qu’en résumé, les cadres dirigeants de l’entourage de Carlos Tavarès, n’ont pas fait leur travail. Un collègue et ami cite fort à propos ce principe : « L’indiscipline suprême consiste à exécuter un ordre sans avoir, au préalable, exposé à vos chefs, s’il n’y a pas urgence, les faits et les arguments qui, à votre avis, leur ont échappé. Si, après vous avoir entendu, ils maintiennent leur ordre, vous devez bien entendu, l’exécuter sans réticence. » (discours d’adieu à l’École navale de l’amiral Joire-Noulens.) Certains sont même incrédules : « Ce n’est pas à moi qu’on va faire avaler la couleuvre qu’il était seul responsable de la débandade et qu’il était un tyran et agissait comme tel, sans que personne bronche, ne réagisse et se laisse faire, quel que soit le niveau hiérarchique. Qu’ont fait tous les cadres pendant ce temps là ? Ils ont tous obéi aveuglément avec des œillères ? Tavarès était juste un fusible et l’arbre qui cache la forêt… » Tout cela contient une grande part de vérité, et cependant…

Ceux qui font partie de l’entreprise considèrent que la moindre divergence avec les idées du chef était un motif de licenciement immédiat : « Il faisait régner la terreur et tous les cadres dirigeants n’osaient rien lui dire sous peine de se faire virer illico presto. » La force morale nécessaire pour agir dans l’intérêt supérieur de l’entreprise en discutant ou en s’opposant à une décision du chef suprême, était donc non seulement rare (il y a eu quelques cas) mais encore peu efficace car, au final, le dissident sortait de l’entreprise sans que celle-ci ne modifie son cap. Certains reconnaissent là un syndrome qui a aussi frappé ailleurs : « Nous avons connu cela chez Renault où Carlos Ghosn, patron émérite, est devenu au fil des années le patron suprême d’absolument tout. » ou bien : « Il [Carlos Tavarès] a dupliqué les méthodes brutales de l’immonde José Ignacio Lopez. »

Le CEO est responsable de créer la confiance

Plus d’idées dans un collectif en confiance que dans une seule tête ?

On peut en conclure ceci : faire preuve de courtisanerie et de servilité étant souvent considéré comme un « grand sens politique », tandis qu’une différence d’analyse, même exprimée respectueusement, risque de mettre fin prématurément à une carrière, la très grande majorité des cadres n’expriment pas leur avis dissonants. Cette culture ne permet pas d’informer le CEO de risques ou de signaux faibles annonçant soit des opportunités, soit des difficultés, et crée les conditions d’une sortie de route spectaculaire, dont le CEO est bien, directement et indirectement, le responsable… C’est donc bien à lui et à lui seul que revient la responsabilité de créer un climat de confiance permettant de tirer les bénéfices de l’intelligence collective par l’encouragement d’une parole libre. Le management d’entreprise doit donc faire une véritable révolution culturelle pour aller vers davantage d’écoute, de transparence et de confiance. Pour cela, même s’ils ne mentionnent pas l’ensemble des parties prenantes pertinentes (actionnaires, clients, fournisseurs, personnel, autorités publiques), les idées avancées par mes différents correspondants tournent autour de l’instauration d’un dialogue : « instaurer une culture de transparence où les retours des équipes soient valorisés, même quand ils sont critiques », « mettre en place des mécanismes de feedback régulier », de « pratiquer des évaluations 360° anonymes pour libérer la parole »

Lutter contre la nature humaine…

Mais, ajoute l’un des contributeurs : « Encore faut il ensuite accepter les retours sans complaisance et se remettre en question….pas toujours évident car souvent l’ego est (trop) présent… » C’est là une limite importante de l’exercice. Ayant moi-même bénéficié d’évaluations 360°, j’ai pu mesurer combien certaines critiques sont difficiles à entendre. Certaines peuvent paraître injustifiées, exagérées, ou relever d’une incompréhension de la stratégie d’ensemble qui a été poursuivie. Il faut alors vraiment se forcer à s’y confronter et à les analyser pour en tirer le bénéfice. Ce travail sur la nature humaine pour gagner un peu d’humilité restera à la fois nécessaire et bien difficile. Des coachs ou un appui pris par le CEO sur sa propre équipe dirigeante peuvent y aider.

Améliorer les processus et les organisations

Cees ‘t Hart, CEO du Groupe Carlsberg de 2015 à 2023.

Fort heureusement, certains processus et certaines formes d’organisation favorisent aussi le contact avec le terrain et l’accès à des informations non altérées. Jacqueline Carter et Rasmus Hougaard rapportent ainsi dans un article de la Harvard Business Review que le Néerlandais Cees ‘t Hart, devenu PDG de l’entreprise de brasserie internationale Carlsberg, s’était rendu compte qu’il parlait désormais à très peu de monde hormis les quelques cadres dirigeants proches qui partageaient avec lui le 20ème étage de leur siège. Il décida alors de quitter sa bulle, son prestigieux bureau et de s’implanter dans un open space, à un étage intermédiaire, afin de pouvoir « prendre le pouls de l’entreprise ». Cela se rapproche de la manière dont Toyota organise l’espace dans ses bureaux : un directeur d’usine est toujours dans un open space partagé par des dizaines de collaborateurs, à qui il a donc directement accès et qui ont directement accès à lui. A cela s’ajoute la pratique quotidienne d’aller sur le terrain (le fameux gemba, « terrain », ou le genchi gembutsu, « site physique »), qui oblige à quitter son petit confort pour aller se confronter aux réalités en écoutant les opérateurs – c’est même l’une des bases du management Toyota adopté mondialement sous le nom de Lean Management. En contact direct avec les équipes de Toyota, j’ai personnellement pu mesurer l’efficacité du système sur la posture des dirigeants, en plus de l’avantage procuré en termes d’analyse et de résolution des problèmes, donc de progrès permanent.

Au moment où les organisations et les entreprises sont de plus en plus massives, et où l’utilisation des data permet de plus en plus une gestion à distance, le risque de bulle managériale, avec son cortège de comportements toxiques, s’accroît encore. Il est temps pour les entreprises de consacrer une véritable réflexion, et peut-être des moyens, à l’endiguement des effets des ego surdimensionnés et de l’hubris, en s’inspirant des expériences réussies par d’autres. C’est peut-être là une tâche pour les administrateurs dont nous parlions plus haut, et qui les aiderait à résoudre leur difficulté à bien juger les CEOs.

 

 

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Pour bien commencer l’année 2025

 

2024 s’est terminée en laissant de nombreux défis sans solution. Il était déjà complexe de développer l’activité face aux contraintes de marché issues notamment du réchauffement climatique et des demandes sociales et sociétales. L’instabilité politique, les guerres et les catastrophes climatiques sont venues considérablement compliquer l’équation. Mais pour 2025 les opportunités sont là. Seulement il ne suffira pas d’investir sans réfléchir.

Adopter une politique volontariste de RSE, c’est permettre à l’entreprise de s’adapter à ces nouvelles conditions plus exigeantes qui caractérisent notre actualité économique.

En 2025, nous serons là pour faciliter cette adaptation.

A toutes et à tous, meilleurs vœux pour cette nouvelle année si prometteuse !

 

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Et si le « piège éthique » de l’IA était un piège énergétique ?

Un data center, vu sous son meilleur jour…

Nul n’ignore que l’intelligence artificielle repose sur le traitement intensif de données massives, ce qui requiert des ressources considérables en termes de stockage de données comme en puissance de calcul. Et pourtant, les conséquences de ce simple fait semblent avoir été longtemps sous-évaluées, et elles font craindre une crise inattendue de notre approvisionnement électrique.

Il s’agit ici des puissances de calcul et des ressources de stockage de données de masse nécessaires à l’IA à quoi il faut ajouter la blockchain et les cryptomonnaies dont le coût énergétique pourrait également devenir un souci majeur en fonction de leur démocratisation.

Les estimations sans cesse réévaluées des impacts de ces nouvelles sources de consommation électrique font ressortir des risques sérieux sur les capacités de production et les réseaux de transport de l’énergie électrique. A cela s’ajoute une menace sur les trajectoires de décarbonation qui dépendent en partie d’une réduction de la demande énergétique.

Il faut réfléchir à nos priorités, bienvenue en « énergéthique » !

Le décollage vertical de l’IA

Un data center est en réalité un vaste échangeur thermique avec, au milieu, les serveurs et les armoires de liaisons réseau qu’on met sur toutes les photos.

Alors que tout le monde avait les yeux tournés vers le surcroît de consommation imputable à l’électrification du parc automobile, c’est finalement le décollage vertical de l’IA qui fait peser une lourde menace sur les prévisions des électriciens. Qu’on en juge : selon une étude parue dans Forbes en 2023, 50% des organisations étaient sur le point d’intégrer l’IA dans leurs outils de travail ; or une simple requête ChatGPT consomme entre 10 et 25 fois plus d’énergie qu’une recherche sur Google. Le nombre de data centers, déjà multiplié par 4 entre 2022 et 2024, doit doubler entre 2024 et 2027. Et ce que les photos ne montrent pas, c’est que chaque data center est en réalité un vaste échangeur thermique avec, au milieu, les serveurs et les armoires de liaisons réseau que l’on met sur toutes les photos. La consommation mondiale des serveurs IA atteindra 500 térawattheures (TWh) d’ici 2027, soit 2,6 fois le niveau de 2023. 500 TWh, c’est déjà plus que la consommation française à son point historique le plus élevé ; du point de vue énergétique, c’est comme si on avait ajouté un grand pays développé sur la carte du monde. Et la perspective au-delà de ce point est celle d’une poursuite de la croissance des besoins de 10% par an pendant encore plusieurs années.

La progression du nombre de datacenters dans le monde entraine une augmentation considérable des besoins électriques. (Crédit Gartner)

A l’échelle de l’UE, les 1 240 centres de données de l’UE ont consommé un peu moins de 100 TWh, soit 4 % de la demande d’électricité du continent. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la construction de nouveaux centres de données devrait faire passer ce chiffre à environ 150 TWh d’ici 2026, en route sans doute pour atteindre 8% à 10% entre 2030 et 2035. Là aussi une consommation digne de celle d’un pays supplémentaire moyen (par exemple l’Espagne) aura été ajoutée.

Cette tendance n’a pas échappé aux entreprises qui sont à la racine du problème. Google a annoncé que l’IA risquait d’amener une croissance supplémentaire de sa consommation énergétique totale. En anticipation de la croissance de la consommation électrique de ses programmes d’IA, Microsoft envisage d’alimenter ses datacenters avec des mini-réacteurs nucléaires modulaires (SMR) privatifs. De son côté, OpenAI participe à un tour de table de financement de 20 milliards de dollars dans la start-up Exowatt, qui propose une technologie pour fournir les centres de données en énergie solaire.

Une inflation imprévue des besoins, bordée d’incertitudes

Pour tenir compte de ces perspectives, RTE a revu à la hausse ses scénarios d’évolution des consommations des centres de données dans son bilan prévisionnel 2023 par rapport aux Futurs énergétiques 2050 publiée fin 2021.

En France, RTE  estime que la demande d’électricité des centres de données devrait atteindre 23 à 28 TWh, soit 4 à 5% de la demande totale d’électricité du pays d’ici 2035 contre environ 2 % en 2020. Cependant, cette prévision pourrait atteindre près de 80 TWh si la consommation théorique à pleine puissance de toutes les demandes reçues était réalisée de manière simultanée. Pour l’ensemble des usages numériques, la consommation se situerait entre 50 et 60 TWh en 2030 et entre 58 et 68 TWh en 2035.

Pour mettre ces chiffres en perspective :

Une centrale nucléaire, combien de data centers ?

  1. la consommation d’électricité en France est actuellement de 445 TWh après avoir été longtemps stabilisée autour de 480 TWh, différents facteurs étant venus modérer la consommation ces dernières années. L’ajout de 40 TWh au titre des consommations du secteur digital est donc très loin d’être neutre. Cela représente sept réacteurs nucléaires en plus (la France en comptait 56 en 2023.)
  2. Le niveau des prévisions des grands organismes professionnels pour 2030 varient entre 430 et 900 TWh ! … Bien entendu, un paramètre de variabilité significatif est la question de savoir combien de data centers seront construits sur le territoire national. La prévalence de la source nucléaire, décarbonée, dans notre mix énergétique électrique, place la France en bonne position, derrière les pays scandinaves, pour en récolter un bon nombre en plus des quelques 270 déjà en place… RTE, intéressé au premier chef par la nécessité de réaliser les investissements nécessaires dans le réseau électrique national, les trajectoires de consommation aboutissent entre 555 TWh et 752 TWh, avec un scénario référence à 645 TWh et une « variante électrification + » à 700 TWh. Exprimée en nombre de réacteurs nucléaires, la fourchette reste large (il en faut près de 10 pour combler la différence entre le scénario de référence et la « variante électrification + » !
  3. La perspective très court-terme de ces accroissements de consommation ne permet pas de réagir en temps compatible avec la construction de capacités additionnelles de production (6 à 8 ans plus le délai de décision au préalable pour une centrale nucléaire classique)… Or les capacités actuelles peuvent être dépassées rapidement. Par exemple, en Irlande, pays déjà riche de plus de 80 centres de données attirés par une fiscalité « douce », la consommation d’énergie des centres de données a dépassé celle des foyers urbains en 2023 et l’électricien national prévoit que la demande des centres de données atteindra 30 % de la consommation nationale d’électricité d’ici 2032. L’autorité gouvernementale a même dû promulguer un moratoire sur les nouveaux développements de centres de données à Dublin en 2022. Le souci est partagé par le Royaume-Uni (estimation de 6% de la consommation électrique nationale en 2030), la France, l’Allemagne, l’Espagne et bien sûr les pays scandinaves déjà cités.

Des possibilités de mitigation ?

Bien sûr, me direz-vous, le scenario catastrophe de la pénurie d’électricité due aux nouveaux usages digitaux n’est pas certain. En effet, il y a des facteurs de mitigation :

  • l’optimisation technique (mais dans quel horizon de temps ?) : celle du fonctionnement des processeurs, puisqu’ils ne travaillent qu’entre 30 et 50 % du temps mais consomment 100 % du temps, ou celle de l’entraînement des algorithmes qui, selon certains, pourrait réduire de près de 80 % l’énergie nécessaire pour entraîner un modèle de haute qualité en limitant au maximum les opérations inutiles ;
  • le ralentissement du déploiement du véhicule électrique qui creuse d’autant le courbe de l’augmentation de la consommation liée à la mobilité électrique, mais ne recule pas le « mur » de 2035 où tous les véhicules vendus neufs devront être électriques ;
  • la poursuite de la baisse des consommations dans les autres secteurs. Celle-ci, constatée depuis 2020, est généralement expliquée par une combinaison de facteurs :
    • des effets de long terme de la pandémie de Covid-19, puisque l’indice de production de l’industrie manufacturière n’a jamais retrouvé le niveau de la fin des années 2010 ;
    • une hausse des prix des matières premières et une forte inflation induites par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui perturbe l’ensemble des agents économiques et la consommation des ménages ;
    • les incitations à la sobriété énergétique déclenchées notamment lors de l’hiver 2022-2023, en raison des craintes sur la sécurité d’approvisionnement en gaz et en électricité elles aussi liées au conflit russo-ukrainien (qui ne se souvient pas de Bruno Lemaire vantant les mérites du pull à col roulé ?) ;
    • les investissements réalisés en matière d’économies d’énergie dans le secteur résidentiel comme dans le secteur industriel.

EDF a même arrêté cinq réacteurs nucléaires au printemps dernier, en raison d’une forte baisse de la demande d’électricité faisant chuter les prix, dans un contexte de réserves hydrauliques particulièrement bien garnies et de températures au-dessus des moyennes limitant les consommations pour le chauffage. Pour autant que certains de ces facteurs ne s’inversent pas, cette évolution à la baisse des consommations des autres secteurs laisse en effet une marge de sécurité temporaire à la production d’électricité face aux nouveaux besoins du monde digital, le réseau de distribution continuant quant à lui à exiger d’importants investissements pour tenir compte du déplacement géographiques des lieux de consommation électrique.

Tous ces facteurs sont bien entendu déjà présents dans le projections sur l’évolution future de la consommation électrique, le tout étant de les quantifier et de les positionner dans le temps de manière pertinente. Il reste hautement vraisemblable que la poussée très rapide des consommations liées aux nouveaux usages digitaux fasse rapidement reprendre la progression des consommations vers des sommets encore jamais visités !

Un problème d’énergéthique !

Non, ce n’est pas une faute de frappe, je tente le néologisme « énergéthique » car la question posée est celle de nos ressources énergétiques et de l’usage responsable que nous devons en faire.

La forte augmentation de la demande d’énergie des nouveaux usages digitaux augmente le risque de coupures de courant avec la désorganisation qui les accompagne. La Commission européenne s’en est inquiétée et a invité les États membres « à mettre en œuvre des mesures ciblées et proportionnées en vue de réduire la consommation d’électricité des activités de minage des cryptoactifs, à abolir les allègements fiscaux et les autres mesures fiscales en faveur des activités de minage des cryptomonnaies actuellement en vigueur dans certains États membres et à se tenir prêts à interrompre le minage des cryptoactifs au cas où un délestage électrique serait nécessaire ».

Cette augmentation des besoins énergétiques se traduira également à terme par des coûts plus élevés pour les consommateurs, les particuliers étant touchés de plein fouet, tandis que les industriels et les exploitants de centres de données pourront négocier des contrats massifs à des prix avantageux.

Bien que les fournisseurs d’IA invoquent souvent le fait qu’ils feront appel à des sources d’énergie renouvelables pour rendre leur activité plus vertueuse sur le plan climatique (et, en France, ils le font d’autant plus qu’ils sont soumis au décret tertiaire, issu de la loi ELAN), dans le même temps, cette énergie « verte » sera soustraite à d’autres usages. Un collectif militant marseillais a par exemple annoncé avoir des preuves que leur ville a donné priorité à la construction de nouveaux centres de données au détriment d’autres projets publics, comme l’électrification d’un réseau de bus. Et un dépassement plus rapide que prévu des productions maximales installées entraînerait sans doute la réactivation de centrales à énergie fossile pour combler l’insuffisance de la production, comme cela a été le cas lors de la crise russo-ukrainienne en 2022…

Sans vouloir freiner l’IA dans ses applications les plus nobles, utiles et innovantes, il est peut-être temps de se rappeler que la frugalité est également une vertu qui doit aller de pair avec la technologie et l’innovation. Ou pour le dire autrement, qu’on n’écrase pas une mouche avec un marteau, et qu’on n’a aucun intérêt à faire appel à l’IA quand on peut facilement s’en passer. Rappelons qu’une seule requête ChatGPT représente le même coût que 25 recherches Google et qu’il faut souvent 3 ou 4 prompts successifs pour parvenir au résultat souhaité… D’ailleurs certaines utilisations de l’IA nous paraîtront aussi bientôt aussi peu adaptées que l’objet en photo ci-contre. Au moment où les usages digitaux prennent une importance de plus en plus forte, et en attendant qu’une taxe carbone vienne éventuellement stimuler la frugalité souhaitée, il est temps d’intégrer l’ « énergéthique » à nos réflexions individuelles ou d’entreprise afin de commencer à mieux cerner le juste nécessaire dans nos investissements IA et blockchain.

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Quand il faut combiner connaissance et action

Stefan Zweig était un observateur de la vie au regard acéré. Au détour d’une page, cet aphorisme me saute aux yeux : « Presque toujours il en est ainsi dans la vie : ceux qui savent ne sont pas ceux qui agissent et ceux qui agissent ne sont pas ceux qui savent. » Pourtant, ceux qui agissent ne sont pas systématiquement moins intelligents que « ceux qui savent ».

Oui, mais l’action impose un tel rythme de décisions face à des situations sans cesse nouvelles et parfois menaçantes que le temps de la réflexion disparaît des emplois du temps, quand ce n’est pas tout simplement le temps de la prise de connaissance de nouvelles informations. Le décideur réagit ainsi bien souvent en fonction de données obsolètes ou d’idées dépassées… Certes, lors de sa prise de poste, il s’appuie pendant quelques temps sur les connaissances acquises en préparation de ce nouveau job. Mais bien vite, son stock d’informations exactes s’amenuise ou se périme… C’est l’une des raisons pour lesquelles l’alternance au pouvoir est une bonne chose en politique. C’est aussi pourquoi les CEOs ont parfois des fins de règne peu glorieuses.

Cela dit, n’est-ce pas aussi par excès de confiance en eux que pèchent ces CEOs ? Ils pourraient acquérir ce qui leur manque sans y passer un temps excessif, en faisant appel en temps voulu aux bons experts. Ceux-ci consacrent l’essentiel de leur temps à acquérir et à approfondir leurs connaissances spécialisées et sont en mesure de partager l’essentiel avec « ceux qui agissent ». Couverture du livre et photo de la remise du prix

Dans le cas du domaine de la RSE, dont la complexité peut légitimement décourager les meilleures volontés, les connaissances sont éparses. Avec mes co-auteurs Henri Fraysse et Stéphane Bellanger, nous avons mis plus de deux ans à rassembler et à synthétiser les matériaux historique, technique, financier et juridique afin de constituer le premier manuel complet en langue française, respectant à la fois un souci d’exhaustivité et un souci de pédagogie. Ce travail a été reconnu par le jury du Prix du Cercle Montesquieu qui lui a décerné son prix pour l’année 2024.

Le résultat est donc accessible à tous les décideurs (ou conseilleurs) qui feront l’acquisition du livre, et pour ceux qui n’ont pas le temps de se lancer dans sa lecture, des interventions directes des auteurs sont possibles ès qualité de consultants et formateurs, un investissement minime en regard des enjeux…

C’est à ce prix que l’action et la connaissance pourront se rencontrer, pour le plus grand bénéfice des organisations concernées.

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

L’éthique, un luxe ? Plutôt l’inverse…

Crédit : Fauxels/Pexels

Face à tous les défis que doivent actuellement relever les entreprises, la tentation est grande de reléguer les questions d’éthique et de RSE au rang de « nice to have », ou pour ainsi dire de superflu… Et pourtant c’est l’inverse qui est vrai. Négliger ces questions est au contraire un luxe que la plupart des entreprises ne peuvent pas se payer.

D’abord parce que si nous ne nous intéressons pas à l’éthique et à la RSE, elles s’intéressent à nous.

Les législations qui apparaissent régulièrement depuis quelques années nous obligent à organiser l’information et le respect de dispositions précises dans plusieurs domaines, notamment, pour ne citer que quelques règles s’appliquant aux entreprises de tous les secteurs :

A cela s’ajoutent les dizaines de lois européennes et nationales visant à protéger l’environnement et à encadrer les pratiques sociales et de gouvernance. Nous en faisons un inventaire déjà très fourni sans être totalement exhaustif dans notre ouvrage « Comprendre la RSE, levier de transformation durable » (Ed. Larcier, 2023).

Ces lois introduisent toutes dans leur domaine de nouvelles responsabilités (et parallèlement de nouvelles pénalités pour non-respect de leurs dispositions), se traduisant par de nouveaux comportements pour chacun des acteurs de l’entreprise. Une difficulté majeure est d’obtenir la compréhension puis surtout l’adhésion de tous pour appliquer concrètement ces nouveaux comportements.

Cela n’est en réalité possible que si la Direction de l’entreprise affiche son engagement, et le confirme par son exemplarité en la matière.

C’est précisément le stade où l’entreprise éthique (pilotée au nom de valeurs, avec une charte claire et concrète) dispose d’un, voire de deux coups d’avance. En effet :

  • Une entreprise éthique manifeste d’entrée son adhésion à des valeurs de respect des individus, de justice et de durabilité. Personne n’est surpris par l’introduction de nouvelles règles en la matière, bien au contraire.
  • Une entreprise éthique pratique fondamentalement la responsabilisation des salariés puisqu’elle les appelle dès l’embauche à adhérer à la charte ou au code de conduite interne. Cette pratique permet d’atteindre des résultats que la contrainte et/ou la surveillance ne permettent pas d’atteindre en matière de comportement, ne serait-ce qu’en raison de la complexité de ces comportements.

C’est pourquoi nous disons que négliger ces questions est un luxe que la plupart des entreprises ne peuvent pas se payer.

Mais comment devenir une entreprise éthique ? Trois étapes principales :

  1. en mettant au point les fondements de la politique de l’entreprise : en réfléchissant à sa raison d’être (et au besoin en la reformulant), et en définissant les valeurs en cohérence avec la mission et les objectifs de l’entreprise, cela au travers d’un processus de dialogue permettant de recueillir l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes (notamment les collaborateurs, partenaires et fournisseurs) ;
  2. en déployant ces valeurs de l’entreprise au travers de la stratégie, des objectifs, des processus et du tableau de bord de l’entreprise, ce qui implique une attention soutenue envers les enjeux de conformité (ou compliance) par rapport aux réglementations ;
  3. en lançant les actions de responsabilité écologique, sociétale et de gouvernance (ESG) tirées par les valeurs et par l’analyse de double matérialité : impacts des questions ESG sur l’entreprise d’une part, impact de l’entreprise sur son environnement E, S et G d’autre part.

La communication de l’entreprise, tant externe qu’interne, ne doit être qu’un accompagnement de son évolution, jamais une  promesse volontariste voire irréaliste qui l’expose au risque d’accusations de greenwashing. Faire ce que l’on dit, dire ce que l’on fait reste la règle d’or absolue ici.

L’éthique est une composante essentielle d’une entreprise en bonne santé, et c’est un atout accessible à toutes, à condition de le vouloir. Le luxe, ou plutôt le caillou dans la chaussure, ce serait de vouloir s’en passer à tout prix !

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Entre contraintes réglementaires et valeurs aspirationnelles, quelle place donner à l’éthique dans l’entreprise ?

Après avoir longtemps été ignorée ou gardée à distance par les décideurs économiques, l’éthique s’est aujourd’hui imposée comme une préoccupation pertinente pour l’entreprise. Toutefois, un certain nombre de responsables la considèrent encore plutôt comme un luxe que toutes les entreprises ne peuvent pas se payer. Mais de quoi parlons-nous ? Le terme d’éthique recouvre, en entreprise, trois niveaux (presque) sans lien entre eux : le souci de la conformité, l’aspiration à la responsabilité et le management “missionnaire”, fondé sur une conviction forte, qui débouche d’ailleurs parfois sur l’adoption du statut de société à mission.

Le souci de la conformité

Au premier niveau, pour se protéger de poursuites en justice ou d’atteintes à leur réputation, la plupart des entreprises mettent en place des procédures pour garantir le respect de règles, entre autres, contre la corruption et le blanchiment d’argent, contre le harcèlement ou contre la divulgation de données personnelles. Mais l’officialisation de ces procédures n’est pas suffisante, il faut encore former les salariés à les accepter et à les appliquer de manière inconditionnelle, faute de quoi la protection qu’elles sont censées apporter resterait inopérante. Il s’agit là de projets qui peuvent donner lieu à des déploiements ou des enrichissements poussés au sein de l’entreprise.

L’aspiration à la responsabilité

Au deuxième niveau, les entreprises essaient de plus en plus de se montrer responsables socialement et écologiquement. “Se montrer” est le terme exact, car la communication dépasse parfois les réalités, donnant lieu à ce qui est souvent dénoncé comme du greenwashing (écoblanchiment) ou du socialwashing (socioblanchiment). Néanmoins, le nombre croissant d’obligations de transparence et de reporting, la pression de l’opinion publique et de certains investisseurs conduisent à une généralisation des bonnes pratiques. C’est tout le domaine de la RSE qui permet aux entreprises de réduire significativement les nuisances que leur activité entraîne, au plan de l’environnement comme au plan humain, avec des retours sur investissement sur le plan économique comme sur celui de la réputation interne ou externe.

Le management par les valeurs

Allant plus loin, certaines entreprises font la promotion du management par les valeurs. Certaines se sentent investies d’une mission, et porteuses de convictions fortes sur le changement du monde, tandis que d’autres font juste des valeurs inscrites dans leur mission statement ou leur charte interne les principes directeurs de leur management. Par son comportement exemplaire et par l’attention qu’il porte à la mise en œuvre concrète des valeurs dans son organisation, le dirigeant inscrit ces valeurs dans la culture d’entreprise. La recherche en économie comportementale a mis en évidence à de multiples reprises la corrélation entre la culture d’entreprise – le fait qu’il existe une base culturelle commune à tous les membres d’une entreprise – et le succès (ou l’insuccès) de l’entreprise. Les recherches faites par KRW – entre autres – montrent une corrélation nette entre un leader (ou une équipe dirigeante) qualifié d’intègre, responsable, compréhensif et empathique et la performance économique. Un fond de placement a même été créé à partir d’entreprises dont le management présente un haut niveau de telles qualités.

S’il n’entre actuellement dans aucune de ces catégories, en quoi un dirigeant a-t-il intérêt à réfléchir à la façon d’introduire une dose d’éthique dans le management de son entreprise, et surtout, comment faire ?

Il convient d’abord que le dirigeant en question comprenne quel sera l’investissement (et son investissement personnel), évidemment croissant en fonction de ces trois niveaux, et l’énergie qu’il est prêt à y consacrer, mais aussi qu’il visualise le ratio de retour sur investissement, lui aussi croissant. Le premier niveau est essentiellement défensif : il s’agit de préserver la santé financière et la réputation de l’entreprise de la même manière qu’on souscrit une police d’assurance. Le gain est essentiellement une limitation des risques.

Le deuxième niveau consiste à donner à l’entreprise une légitimité, dite licence to operate, assise sur un large accord des parties prenantes et du public autour des activités et projets de l’entreprise. Dans un contexte où la RSE se généralise, c’est de moins en moins différenciant et de plus en plus un dû, mais la qualité de l’engagement RSE peut encore faire une différence positive. C’est notamment le cas pour l’engagement des salariés, car ceux-ci ressentent plus volontiers une fierté d’appartenance et une loyauté envers une société qui fait ce qui leur paraît juste sur différents plans : transparence et équité des rémunérations, respect et inclusion des minorités, protection et restauration de l’environnement naturel, lutte contre le réchauffement climatique, respect du monde animal et de la biodiversité, etc. Pour la bonne communication interne et externe, cela conduit les dirigeants à afficher des valeurs, dont certaines sont “opérationnelles” (priorité au client, agilité, innovation, audace…) et d’autres “éthiques” ou comportementales (intégrité, respect des personnes, protection de la planète…). Tout en appréciant la clarification ainsi apportée, et sans en négliger les bénéfices en termes de licence to operate, force est de reconnaître que ces valeurs se greffent plus ou moins harmonieusement sur ce qui est par ailleurs la ligne directrice de l’entreprise : maximiser ses profits.

Le management par les valeurs, ancré dans les convictions du dirigeant

Au troisième niveau, on passe de l’éthique de responsabilité à l’éthique de conviction. Le dirigeant prend l’option de fonder tout le management de l’entreprise sur des valeurs reliées à sa vision de la raison d’être de l’entreprise parce qu’il est personnellement convaincu du bien-fondé de cette option. D’une part, il a conscience des travaux de recherche en psychologie sociale qui montrent la pertinence de cette approche sur le plan économique, et d’ailleurs il ne cache pas ses objectifs économiques, abordant même la question du partage de la valeur entre les parties prenantes. D’autre part, il voit des vertus intrinsèques dans la mise en œuvre des valeurs comme axe central de son management : cela va permettre un développement harmonieux et durable de l’activité au plan humain et social, notions auxquelles le dirigeant accorde une importance élevée. Certes les efforts à accomplir sont très importants, avec notamment des phases de dialogue approfondi avec les parties prenantes, mais les bénéfices en termes d’engagement des collaborateurs et de cohésion sont significatifs : par exemple, selon une étude Microsoft Irlande, le niveau de confiance entre managers et équipes qui provient d’une culture axée sur l’efficience, de bonnes conditions de travail et la délégation, conduit les pertes de temps (la non-valeur ajoutée) à passer de 61% à 25% du temps dans les entreprises du secteur tertiaire. Le consultant et coach Fred Kiel, fondateur du cabinet KRW, a fait état dans sa vaste étude Return on Character, publiée en 2015 par Harvard Business Review Press, d’un écart d’un facteur 4,8 entre les ROA des entreprises conduites par des leaders fondant leur leadership sur des valeurs fortes et celles conduites par les dirigeants “auto-centrés”…

La fondatrice de The Body Shop, Anita Roddick, en campagne…

Allant plus loin, certains choisissent une version militante, typiquement celle choisie par Anita Roddick lors de la création de sa chaîne de produits de beauté The Body Shop. Il s’agit là de considérer l’entreprise comme un moyen de changer le monde dans le sens des convictions personnelles du dirigeant, dans son cas principalement le retour à des cosmétiques plus naturels, la défense des droits humains et le refus de l’expérimentation animale. Le succès remarquable de son concept a fait douter de sa sincérité et considérer son approche comme le nec plus ultra du marketing, mais elle-même a toujours défendu sa totale sincérité. De manière moins spectaculaire, c’est aussi le choix fait par les entreprises à mission, qui affichent un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux qu’elles se donnent pour mission de poursuivre dans le cadre de leur activité. Rien ni personne n’oblige un dirigeant à choisir cette voie qui relève à la fois de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité, dans la mesure où l’entreprise se reconnaît redevable à son environnement pour les nombreuses ressources (naturelles, humaines, technologiques ou d’infrastructure) qu’elle y puise, et qu’elle souhaite en retour contribuer au bien commun.

Savoir rester concret et fédérateur

Les valeurs doivent en majorité être concrètes et vécues.

Il y a néanmoins des risques à s’appuyer trop fortement sur des valeurs aspirationnelles, c’est-à-dire des valeurs qui reflètent davantage une cible, une aspiration vers une situation améliorée dans le futur, plutôt qu’une réalité concrète accessible dans le présent. Le risque est celui de la déconnexion entre la réalité quotidienne des salariés et le monde rêvé par l’équipe dirigeante, peut-être au cours d’un séminaire marqué par un peu trop d’enthousiasme ou, pourquoi pas, par une poussée de “pensée de groupe”… Certes si l’on retient 4 ou 5 valeurs-clé pour l’entreprise, il n’est pas mauvais d’en avoir une qui pousse au progrès et qui exprime une ambition plus qu’une réalité, mais il s’agit que les autres soient reconnues et vécues, afin que l’ensemble soit réellement fédérateur et opérationnel. Le premier test pour savoir si les valeurs mises en exergue sont des réalités est le comportement du dirigeant. Le second est celui des managers dans l’organisation. L’engagement demandé aux salariés passe d’abord par un engagement pris et respecté de manière visible par la Direction.

Se donner le temps et les moyens de la réflexion

Au vu des enjeux et des coûts, il est nécessaire de réfléchir – en s’aidant d’une documentation adéquate et de la consultation de spécialistes – à la posture et aux ambitions à fixer avant de décider, entre contraintes réglementaires et valeurs aspirationnelles, de la place à donner à éthique dans le management de l’entreprise.

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Ethique et conduite de projet

travailleur grands travaux

Les grands projets impliquent de grands risques, techniques, humains et financiers (Photo Kateryna Babaieva/Pexels).

Selon McKinsey, 98% des grands projets d’infrastructure dépassent de plus 30% leur budget initial et 77% sont en retard de plus de 40% sur leur planning initial. Une autre étude (Oxford Global Projects) montre que, selon les types de projets, 20 à 50% des grands projets d’infrastructure et d’énergie dépassent leur budget de départ de plus de 50 %, ce qui s’accompagne de retards parfois importants et de catastrophes financières. Les exemples ne manquent pas : le tunnel sous la Manche, le surgénérateur de Flamanville (12 ans de retard et quadruplement du budget), l’aéroport Willy-Brandt de Berlin-Brandebourg (10 ans de retard et quadruplement du budget), Crossrail, le futur RER londonien (4 ans de retard et dépassement de l’ordre de 20%), le bâtiment du parlement écossais à Edimbourg, champion du dépassement avec un décuplement du budget initial, le Big Dig de Boston, complexe de tunnels autoroutiers urbains, 9 ans de retard et budget multiplié par 7, ou le East Side Access à New York, projet ferroviaire, 13 ans de retard et triplement du budget… L’industrie automobile, dans le domaine des projets véhicules, connaît des statistiques moins dramatiques en amplitude mais un pourcentage élevé de projets connaît là également des dépassements de budget et des retards significatifs.

Les dépassements budgétaires varient selon les types de projet.

Les mêmes mécanismes sont à l’origine des dérives dans tous ces types de projet. Pour les comprendre, schématisons la conduite de projet en deux parties : l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur est la partie la mieux connue et la mieux enseignée : il s’agit de faire réaliser un enchaînement de tâches complexes dans un temps donné avec des ressources déterminées pour obtenir un résultat conforme au cahier des charges initial. Il existe toutes sortes d’aléas techniques ou liés à l’environnement qui viennent perturber le bon achèvement d’un projet et personne ne contestera que cette partie du travail de conduite de projet ne soit difficile, exigeant à la fois de la maîtrise technique, une organisation rigoureuse, une bonne vision d’ensemble des paramètres vitaux du projet et donc une bonne perception des risques, une capacité d’analyse et de décision très au-dessus de la moyenne et par-dessus tout un management énergique et motivateur des équipes impliquées dans le projet. Toutefois, des méthodes et outils de gestion éprouvées, et les retours d’expérience des projets précédents contribuent à fiabiliser ce versant des projets.

Mais il n’en va pas de même de l’ « extérieur ». Avant d’arriver à un problème bien posé tel que celui qui nous venons de décrire, la direction du projet doit obtenir un consensus de multiples parties prenantes – telles que, par exemple, les clients finals, les financeurs, les contrôleurs ou le cas échéant les autorités publiques – sur le cahier des charges, le financement et les conditions d’engagement du projet. Dans une logique de contractualisation préalable où le bien-fondé du projet peut facilement être remis en cause – et donc le projet se voir annulé, un certain nombre de risques se glissent dans la négociation, comme le démontrent les  analyses des grands échecs ou des pires retards et dépassements budgétaires des grands projets.

Le premier inducteur de risque est l’ambition parfois excessive des donneurs d’ordre, qui veulent un projet plus ambitieux, plus efficace, dans un délai plus court que tous ses prédécesseurs. Le deuxième, qui lui répond, est l’attitude optimiste des maîtres d’ouvrage qui soumissionnent pour ces projets : à leur optimisme instinctif, qui résulte de la haute opinion qu’ils ont de leurs capacités et/ou de leur sous-estimation sincère des risques, s’ajoute une dose d’optimisme supplémentaire, destinée à faire approuver le projet et accepter leur offre. Ils craignent, parfois à juste titre, que la révélation des véritables coûts et des véritables délais puisse faire annuler le projet. Cette double couche d’optimisme conduit à une sous-budgétisation parfois très importante, ou à des offres trop agressives, et à une mauvaise collaboration des entreprises participantes, du fait qu’elles voient comme seul moyen de dégager une marge bénéficiaire le fait de présenter le plus d’avenants possible.

table réunion graphiques data données partage

Partager dès l’amont toutes les données chiffrées pertinentes, une étape importante pour assurer la bonne gouvernance d’un projet. (Photo : Kindel Media – Pexels)

Ce fondement bancal du projet conduit ensuite à une minimisation des problèmes lorsqu’ils commencent à apparaître, le risque subsistant, même en cours de projet,  d’un coup d’arrêt et d’une annulation. A ce stade, l’optimisme se mue facilement en mensonge, avec un travestissement des grands indicateurs du projet et un blackout de toute communication non contrôlée par la direction du projet ; chaque mensonge creuse l’écart entre la réalité et le discours, ce qui rend de plus en plus difficile la révélation de la réalité de la situation. Au bout du compte, cela débouche sur de graves conséquences financières pour les entreprises concernées.

La solution réside en partie dans le partage de données factuelles vérifiables lors de la préparation de l’engagement du projet. Les budgets et les plannings d’un projet doivent être basés sur les performances réelles et vérifiées de projets comparables et non sur des convictions personnelles ou des impératifs exogènes. Si ces données sont recueillies correctement, cela permet de mettre en échec les prévisions biaisées qui ne fonctionnent que sur Powerpoint. En cours de projet, toute l’attention nécessaire doit être accordée au recueil de données incontestables sur l’avancement quantitatif et qualitatif du projet, afin de pouvoir raccorder sans erreur la réalité et la planification initiale, et permettre, outre un pilotage pertinent, la détection anticipée des dérives méritant de faire l’objet d’une alerte. Il peut être utile, afin de donner une assise solide à un projet, de faire appel à un expert externe pour certifier la qualité des chiffrages conditionnant son cadrage, et la solidité de ses mécanismes de suivi et de contrôle.

L’autre partie de la solution réside dans l’adoption d’une éthique permettant l’acceptation par tous de l’honnêteté et de la sincérité dans le cadrage des projets, comme dans les reportings ultérieurs. Si, pour des raisons politiques ou autres, la communication d’informations sincères et factuelles est systématiquement punie au lieu d’être récompensée, il ne faut pas s’étonner que les résultats des grands projets restent décevants. Le surcoût moyen des projets continuera d’être de 80% et le retard moyen d’achèvement de 20 mois. Outre les conséquences financières que nous avons évoquées plus haut, le risque personnel est important pour les responsables, le stress ajouté par le double langage les rapproche du burnout, leur crédibilité personnelle peut rester entachée une fois révélée l’ampleur de leur mensonge, qui, à ce stade peut passer pour de l’incompétence, et il peut y avoir de plus des développements judiciaires suite à une plainte des donneurs d’ordre ou parties prenantes s’estimant lésées.

Une formation à l’importance de la transparence et de la sincérité du reporting est une mesure importante à prendre dès l’initialisation du projet. (Photo : ICSA -Pexels)

Enfin la crédibilité de l’ensemble de la profession est entachée aussi. C’est pourquoi la charte éthique de la Fédération Internationale des Ingénieurs Conseil (FIDIC) cite en premier la question de la réputation de l’industrie parmi ses 6 piliers : responsabilité vis-à-vis de la société, compétence, intégrité, impartialité, équité envers les tiers et refus de la corruption.

La bonne gouvernance d’un projet commence par la mise au clair des attentes des parties prenantes et par le partage des données factuelles et chiffrées pertinentes, afin d’arriver à un cadrage réaliste accepté par toutes les parties. Une formation aux enjeux de la transparence et de la sincérité des reportings complètera les chances du projet de rester sur la trajectoire réaliste qui lui aura été fixée.

 

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Des dangers de la solitude du dirigeant et comment s’en protéger…

La compétence ne protège pas des erreurs

Nous apprenons régulièrement que des dirigeants d’entreprises ou des personnalités politiques sont condamnés pour des faits en relation avec leurs intérêts personnels.

Comment se peut-il que des personnes, si compétentes, pertinentes et efficaces dans leurs métiers,  puissent faire des erreurs grossières dans des décisions personnelles qui, avec les avancées modernes de la société et des technologies, ont toutes les chances de les conduire devant un tribunal ? Au-delà de l’éthique, cette question porte sur l’efficacité de leurs décisions.

Comment le cerveau déraille

Les neurosciences et la psychologie sociale nous permettent aujourd’hui de comprendre comment les cerveaux les plus brillants commettent de lourdes erreurs de jugement. Nous savons par exemple que le cerveau humain analyse spontanément les situations par analogie avec ce qu’il connaît déjà, et qu’il applique alors des solutions prédéfinies. C’est plus rapide et plus économe en ressources, et cela nous a été un avantage tout au long de l’évolution des espèces. Mais dans des cas complexes, si nous ne nous donnons pas les moyens de passer sur le « système 2 » qui soumet toutes les données du problème à une analyse rationnelle, plus lente et consommatrice d’énergie, ces mécanismes nous font dérailler.

Une circonstance aggravante est la présence de biais personnels : conflit d’intérêt, attachement émotionnel excessif, ou souvenirs trompeurs, ces expériences qui semblent comparables à la situation nouvelle mais qui ne le sont pas et nous emmènent sur de fausses pistes. C’est ainsi que le général Matthew Broderick est parti se coucher juste avant la ruine des digues de la Nouvelle-Orléans, lors des dramatiques inondations de 2005, après avoir assuré au président des États-Unis qu’elles tenaient bon. Il semble que sa longue expérience opérationnelle ne comportait pas beaucoup de cas similaires…

L’intérêt d’être accompagné dans la prise de décision stratégique

Sous stress, sous la pression du délai et de la multiplicité des informations, il y a des chances très faibles pour qu’une personne seule puisse faire l’une des choses plus difficiles pour l’esprit humain, à savoir revenir sur sa première évaluation d’une situation. Le dirigeant gagne à se faire accompagner dans ses prises décisions stratégiques par des individus ou des groupes.

Ces personnes doivent toutefois être bien choisies pour être en mesure de l’aider.

Le plus simple est d’avoir recours à des aides internes, instances de gouvernance, comités de direction ou tout individu éclairé qu’ils peuvent consulter pour information et pour obtenir un avis ou un écho sur leurs décisions. Ces aides sont toutefois parties prenantes des décisions sur lesquelles leurs avis sont demandés et leurs propres raisonnements sont soumis à leurs biais d’intérêt.

Le recours à des ressources externes, professionnels de l’accompagnement des dirigeants et répondant à une éthique irréprochable, est bien entendu fort intéressant quand c’est matériellement possible. Il peut s’agir d’individus comme des conseillers de direction, des executive coachs, des sparring partners ou des groupes comme des comités consultatifs.

Le dirigeant est écouté, la cohérence de sa pensée est vérifiée, ses croyances sont questionnées, objectivées, une analyse des risques est proposée, de nouvelles voies sont ouvertes… Il lui est alors possible de reconstruire et de rationaliser sa pensée.

Développer des habitudes de pensée et d’action vertueuses

Ainsi, plutôt que de s’en remettre à sa seule intelligence, à ses seules connaissances techniques ou à son intuition, le dirigeant avisé gagne à reconnaître son imperfection, à prendre du recul par rapport à sa pensée immédiate, à reconnaître, accepter et se méfier de ses biais et de ses défauts, et à confronter ses idées à celles de conseillers ou de personnes de confiance. Se ramener aux valeurs, aux règles éthiques et aux axes stratégiques de l’entreprise permet d’éviter des erreurs et des approximations.

En prenant le temps d’analyser les situations avec d’autres, le dirigeant augmente ses chances de prendre des décisions efficaces et pertinentes.

Article co-écrit par Jean-Louis Galano et Antoine Jaulmes

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire

Développer une culture de responsabilité pour un fonctionnement serein porteur de performance

Nous voyons de plus en plus d’entreprises communiquer à leurs clients sur leur raison d’être, leurs valeurs, leur engagement pour servir la société, au-delà de leur objet social et de leur vocation lucrative.

Nous pourrions en citer de très nombreux exemples, comme cette assurance qui annonce un grand changement dans son identité en affirmant sa raison d’être de développer la solidarité, l’inclusion, la santé, la protection de la planète, ou encore cette néo-banque qui promeut avec force sa vocation de servir la société, l’humanité, la planète.

Qui pourrait être en désaccord avec de telles professions de foi ? Certes pas nous !

Ce qui nous gêne toutefois, c’est quand ces mêmes entreprises ne rendent pas à leurs clients le service minimum qu’elles promettent. Sans vouloir stigmatiser quiconque, nous avons constaté que l’assurance citée plus haut répond à ses clients lors d’une déclaration de sinistre avec un délai qui se compte en mois quand ce n’est pas en années, et qu’elle souffre d’ailleurs d’une e-réputation calamiteuse. La néo-banque n’hésite pas quant à elle à mentir sur les raisons de ses rejets abusifs des prélèvements sur les comptes de ses clients, leur causant des pénalités et diverses tracasseries gourmandes de temps utile.

D’autres très grandes entreprises font actuellement les frais de scandales retentissants. Certains disent que l’éthique, plus on en parle, moins on en fait. Ne sommes-nous pas dans ce cas pour ces entreprises ? et quelle est leur intention quand elles communiquent à tous vents sur des valeurs et des principes qui sont maintenant tombés dans le domaine public ? En tant que responsable d’entreprise, comment faire pour maîtriser ces risques coûteux d’être pris en défaut entre les intentions et les actes ?

RECONNAÎTRE ET DÉPASSER LE BIAIS D’INTÉRÊT

Reconnaissons d’abord que nous sommes tous sujets à ce double langage. Nous avons tous envie de bénéficier des avantages qu’apporterait telle ou telle tricherie (à commencer par un montant d’impôts anormalement réduit ou une amende qui saute) et en même temps nous voulons être perçus par notre entourage comme par nous-même comme des personnes remarquables et intègres. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les entreprises tombent dans le piège d’une communication mensongère et inefficace, ni qu’elles participent à des activités illicites ou irresponsables souvent dénoncées dans les media, qu’il s’agisse de la fraude fiscale massive qui mine notre économie, de greenwashing ou autre.

Précisément parce que cette tendance est profondément inscrite dans la nature humaine, nous sommes convaincus qu’un travail au sein des organisations pour y développer une culture de la responsabilité est possible et utile, afin de faire comprendre aux salariés les impacts de leurs comportements. Il faut en effet accepter de se former à détecter et à dépasser ces biais d’intérêt très courants qui peuvent à tout moment mettre en péril la réputation et les résultats de l’entreprise. Car le résultat direct des discours creux et des promesses non tenues, c’est au mieux la perte de confiance, au pire le scandale et le procès public, la condamnation à de lourdes amendes, parfois écrasantes.

LA VOIE VERS UN CLIMAT SEREIN PORTEUR DE PERFORMANCE

Nous rencontrons très souvent des entreprises performantes aux personnels “bien dans leur tête”, vivant dans un climat apaisé, qui ne traînent pas de scandales derrière elles. Elles ont acquis une maturité éthique et ont peut-être même sans le savoir, mis en place ce que nous reconnaissons comme les principaux facteurs d’une culture de responsabilité :

  • le rappel relativement fréquent des consignes (bien pratiqué par la fonction prévention et sécurité) : des expériences de psychologie sociale ont démontré l’impact immédiat et en grande partie inconscient de rappels d’un code moral sur les comportements.

  • l’engagement solennel à respecter un code de conduite, le plus souvent concrétisé par une signature sur un document,

  • l’exemplarité du plus haut niveau,

  • une culture de transparence qui provoque indirectement une supervision croisée entre les membres de l’organisation,

  • des formations de sensibilisation qui permettent de faire comprendre et partager les enjeux pour l’organisation et servent de support à un rappel de consignes solidement motivé et étayé,

  • une évaluation régulière et participative des résultats et des alertes reçues ou subies au sein de l’organisation, accompagnée d’une capitalisation de l’expérience et d’une amélioration “kaizen” des processus ou de l’organisation.

La démarche est avant tout concrète. Il s’agit d’aider les cadres et les salariés à réfléchir aux finalités et aux conséquences de leurs décisions au-delà des indicateurs de résultat de court terme, et donc à prendre de meilleures décisions en alignant les actes sur les valeurs et non l’inverse.

Nous pouvons l’obtenir des salariés de l’entreprise par un programme de formation et de soutien adapté. C’est une question de volonté.

Antoine JAULMES  et Jean-Louis GALANO

 

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 3 commentaires

Face aux crises, construire la résilience de l’entreprise

Un monde et une économie si fragiles

Girl with boxing gloves

Comment affronter les prochaines épreuves ?
Crédit : Thiago Schlemper (Pexels).

Crise financière hier, crise sanitaire aujourd’hui, crise climatique demain… Ceux qui pilotent une entreprise ou sont intéressés à sa pérennité, ne peuvent ni ignorer les risques ni omettre de s’y préparer…

La covid a révélé un monde fragile, interdépendant et promis à une succession de crises systémiques imprévisibles dans leur détail mais certaines dans leur principe. La prochaine crise peut même survenir rapidement, découlant de l’actuelle par une réaction en chaîne assez fréquente dans l’histoire. La pandémie pourrait par exemple avoir suffisamment aggravé l’endettement de certains Etats pour les amener à tailler dans la dépense publique ou à faire défaut sur leurs engagements financiers. De violentes secousses sociales peuvent aussi résulter de la grande pauvreté, brutalement accrue par le blocage partiel de l’économie mondiale…

Dès lors, comment construire une véritable résilience qui permette à une entreprise de limiter les dégâts lors des crises futures, voire d’en tirer des opportunités, alors même qu’elle est fragilisée financièrement et perturbée dans son « contrat social » par un télétravail pas toujours facile à bien mettre en œuvre ?

Investir dans le durable

La première partie de la réponse, classique, c’est l’investissement dans l’innovation. Pour rappeler un épisode d’histoire industrielle, c’est au moment où la grande dépression frappe l’Europe, à partir de 1930, que Philips sort de la monoculture de l’ampoule électrique à incandescence et multiplie les nouveaux produits : lampes à décharge, équipements de radiographie, postes de radio, rasoirs électriques et générateurs électriques à moteur Stirling, cela grâce à un investissement en R&D délibérément maintenu. « Investir au son du canon » a été ici le tournant qui a permis à Philips de devenir la multinationale que l’on sait.

néo-tourisme

Demain, un tourisme différent…
Crédit : Rachel Claire (Pexels)

La différence, c’est que l’innovation des années 2020 sera orientée vers la durabilité. Prenons l’exemple du secteur du tourisme, qui est loin d’être anecdotique puisqu’il représentait en 2019 10% du PIB et de l’emploi mondial (soit 330 millions d’emplois). Comment les entreprises de ce secteur vont-elles rebondir ? L’Organisation mondiale du tourisme a inscrit l’innovation et la durabilité parmi ses priorités pour la relance du tourisme. Dans l’approche dite du « tourisme régénératif », l’activité de ce secteur cessera d’être une activité consommatrice de ressources rares et destructrice de l’environnement qui cherche à limiter les dégâts pour devenir un outil permettant de populariser et de financer la cause de la préservation des écosystèmes fragiles et de la biodiversité, des cultures des peuples autochtones et de l’inclusion sociale et de l’action en faveur du climat. C’est dans ce cadre que se situeront les innovations techniques, sociales et organisationnelles qui feront renaître un secteur touristique prospère.

Investir dans l’humain

La deuxième partie de la réponse, c’est l’investissement durable dans l’humain, éthique, social, responsable (on va détailler ces trois points), car c’est du facteur humain que dépend la qualité de la réaction aux crises et donc la résilience.

Un chef d’entreprise indien, propriétaire d’une PME du Maharashtra, témoignait récemment dans un webinar dédié à la durabilité. Son entreprise avait surmonté les trois crises majeures de l’économie indienne en raison de la politique d’intégrité imposée par ses dirigeants malgré les difficultés inhérentes au contexte indien : l’instauration de la taxe carbone en 2010, la démonétisation en 2016 et la covid en 2020.  Dans les deux premiers cas, la justification minutieuse de toutes les transactions avait handicapé de nombreuses entreprises, particulièrement celles dont une grande partie de la comptabilité s’était avérée inexplicable ! Dans le cas de la crise de la covid, l’absence de contentieux avec les fournisseurs, les clients ou l’administration et la fluidité des dédouanements a permis de relancer l’activité très rapidement et, au final, de dégager une croissance en 2020 par rapport à 2019 ! En Europe, les entreprises se dotent d’outils destinés à les protéger face aux risques économiques et réputationnels résultant de la loi Sapin 2, des règles de concurrence de l’UE et du RGPD. Outre l’adoption de valeurs claires par l’entreprise, les premiers outils de cet équipement sont le code de conduite et les processus d’alerte internes, appuyés par l’exemplarité du comportement des dirigeants. Cela permet de minimiser l’impact des crises.

Collaboratrices engagées

Des collaborateurs plus engagés, donc plus efficaces…
Crédit : Alexander Suhorucov (Pexels)

Au plan social, l’engagement des salariés envers l’entreprise génère de nombreux bénéfices : turnover et absentéisme réduits, performance accrue, meilleure expérience client et réactivité en cas de coup dur. Il répond avant tout à l’engagement de l’entreprise vis-à-vis de son personnel : protection des emplois, sécurité et qualité de vie au travail, bonne organisation, orientation client et autonomie, communication et consultation des salariés, crédibilité de la hiérarchie, sentiment de justice et d’équité dans les évolutions de carrière, accès à la formation, équilibre vie privée/vie professionnelle… Le challenge de la covid a parfois eu un impact positif dans ce domaine. Un spécialiste de l’engagement des collaborateurs explique que certains dirigeants d’entreprise ont significativement amélioré les taux d’engagements mesurés en communiquant avec pertinence, en mettant en place rapidement des organisations et des outils informatiques adaptés, en prenant des mesures de protection de la santé et de la sécurité du personnel ou en maintenant les rémunérations. Leur implication personnelle a confirmé la réalité des valeurs humanistes affichées par l’entreprise, et les équipes ont été soudées par la fierté d’avoir surmonté une épreuve exceptionnelle. Le point d’attention, c’est de maintenir et d’accroître ce capital après la crise : il faudra rester fort sur la communication et l’écoute des salariés, le maintien du lien et de la proximité dans les équipes et en transversal, et la prévention des risques psycho-sociaux, notamment en cas de poursuite du télétravail. Quant aux entreprises pour qui la covid aura mis en route une spirale sociale négative, ces mêmes actions en sont encore plus urgentes voire vitales.

Autre moteur de l’engagement, la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) des entreprises. Les millennials, ceux qui n’étaient pas encore majeurs en l’an 2000, y sont très sensibles, or ils sont à présent majoritaires sur le marché du travail. Désirant avoir un impact positif sur le monde au travers de causes telles que la lutte contre le dérèglement climatique, la biodiversité, la lutte contre la pauvreté, la paix ou les discriminations de genre, de race, de sexualité, ils sont prêts à faire de véritables sacrifices, ce qui affecte les recrutements, car les jeunes candidats recherchent des employeurs à la politique de RSE affirmée. Digital natives, ils sont en outre prompts à identifier et à dénoncer le greenwashing. Les entreprises qui veulent recruter un personnel engagé et motivé doivent donc démontrer par la pratique à quel point elles se soucient de RSE. Favorable en termes d’image et de réputation, la RSE permet aussi de fédérer les salariés, comme l’a montré l’exemple de PSA, qui, pour assembler dans son usine de Poissy les respirateurs artificiels commandés par le gouvernement, a recruté sans difficulté, en plein confinement, 60 salariés volontaires, avec avis pleinement favorable des syndicats du site.

Comment les investisseurs vont nous y pousser

Au-delà des logiques de management, les dispositions évoquées plus haut forment la base de la résilience recherchée par les investisseurs et propriétaires d’entreprise. Impliqués dans le destin de long terme de leurs entreprises, ceux-ci participent en effet activement à un glissement très rapide vers un capitalisme socialement responsable.

Green Investment

Les investisseurs passent au vert. Crédit: Karolina Grabowska (Pexels)

Ainsi, des motions sur les mesures prises par la Direction des sociétés contre le changement climatique sont à présent soumises au vote dans des assemblées générales. En France, le groupe Vinci est le premier à s’y plier. Ce qui était la demande d’un fonds d’investissement militant est aujourd’hui la préoccupation commune à plusieurs gestionnaires d’actifs internationaux comme JP Morgan AM, Fidelity, Robeco, DWS, Aegon AM ou Nordea, et de grands fonds de pension anglo-saxons, qui exigent que les risques financiers liés au climat soient désormais intégrés dans les comptes et non dans un reporting annexe, et que les comités d’audit se portent garants de la bonne prise en compte des risques climatiques importants. « Publier des états financiers qui ne tiennent pas compte des impacts concrets du changement climatique revient à désinformer les dirigeants et les actionnaires et conduit à une mauvaise allocation du capital », écrivent-ils.

Mieux encore, Laurence Fink, directeur général de BlackRock, écrivait en janvier 2020 dans sa lettre annuelle aux PDG que « les preuves du risque climatique obligent les investisseurs à réévaluer les hypothèses de base de la finance moderne », et que BlackRock prendrait désormais des décisions d’investissement avec comme critère principal la durabilité environnementale. De la part du plus grand gestionnaire d’actifs au monde, gérant 7 800 milliards de dollars d’investissements, cette annonce n’a laissé aucun PDG indifférent, surtout pas ceux qui risquent de voir baisser le cours des actions de leur entreprise, devenue «  à risque ».

Dans le domaine social, la très conservatrice Business Roundtable a publié en 2019 une déclaration sur les buts de l’entreprise cosignée par 181 PDG de grandes entreprises américaines qui s’y engageaient à diriger leur entreprise dans l’intérêt de toutes les parties prenantes : clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires, un revirement complet par rapport au passé de la même organisation, jusque-là fidèle à la doctrine Friedman, à savoir la primauté des seuls actionnaires. Cela définit de facto une nouvelle norme en matière de responsabilité des entreprises aux Etats-Unis.

« Je pense que la pandémie a présenté une crise existentielle telle – un rappel si brutal de notre fragilité – qu’elle nous a poussés à affronter avec plus de force la menace mondiale du changement climatique et à considérer comment, comme la pandémie, elle va modifier nos vies » écrivait encore Laurence Fink dans sa lettre de 2021. Il n’y aura pas de retour en arrière. L’avenir concret à court-terme de chaque entreprise passe par une réflexion sur ses responsabilités, ses relations avec ses parties prenantes afin de construire un modèle d’entreprise résilient devant le risque climatique et social, et par conséquent devant les autres types de crise possibles.

Antoine Jaulmes

Article paru dans la Lettre de XMP-Consult d’avril 2021.

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 0 commentaire