Antoine Jaulmes

Diplômé de l’École des Mines de Paris et formé à HEC Executive Education, Antoine Jaulmes a exercé au sein du Groupe PSA comme directeur d'usine et directeur d'un département de R&D. Formé aux questions éthiques par Initiatives et Changement et par l'Institute for Business Ethics, il a lancé en 2019 le cabinet Éthique Pratique Conseil pour permettre aux PME et ETI de s'adapter au nouveau contexte éthique et compliance et d'en tirer le meilleur parti.
Diplômé de l’École des Mines de Paris et formé à HEC Executive Education, Antoine Jaulmes a exercé au sein du Groupe PSA comme directeur d'usine et directeur d'un département de R&D. Formé aux questions éthiques par Initiatives et Changement et par l'Institute for Business Ethics, il a lancé en 2019 le cabinet Éthique Pratique Conseil pour permettre aux PME et ETI de s'adapter au nouveau contexte éthique et compliance et d'en tirer le meilleur parti.

Quand il faut combiner connaissance et action

Stefan Zweig était un observateur de la vie au regard acéré. Au détour d’une page, cet aphorisme me saute aux yeux : « Presque toujours il en est ainsi dans la vie : ceux qui savent ne sont pas ceux qui agissent et ceux qui agissent ne sont pas ceux qui savent. » Pourtant, ceux qui agissent ne sont pas systématiquement moins intelligents que « ceux qui savent ».

Oui, mais l’action impose un tel rythme de décisions face à des situations sans cesse nouvelles et parfois menaçantes que le temps de la réflexion disparaît des emplois du temps, quand ce n’est pas tout simplement le temps de la prise de connaissance de nouvelles informations. Le décideur réagit ainsi bien souvent en fonction de données obsolètes ou d’idées dépassées… Certes, lors de sa prise de poste, il s’appuie pendant quelques temps sur les connaissances acquises en préparation de ce nouveau job. Mais bien vite, son stock d’informations exactes s’amenuise ou se périme… C’est l’une des raisons pour lesquelles l’alternance au pouvoir est une bonne chose en politique. C’est aussi pourquoi les CEOs ont parfois des fins de règne peu glorieuses.

Cela dit, n’est-ce pas aussi par excès de confiance en eux que pèchent ces CEOs ? Ils pourraient acquérir ce qui leur manque sans y passer un temps excessif, en faisant appel en temps voulu aux bons experts. Ceux-ci consacrent l’essentiel de leur temps à acquérir et à approfondir leurs connaissances spécialisées et sont en mesure de partager l’essentiel avec « ceux qui agissent ». Couverture du livre et photo de la remise du prix

Dans le cas du domaine de la RSE, dont la complexité peut légitimement décourager les meilleures volontés, les connaissances sont éparses. Avec mes co-auteurs Henri Fraysse et Stéphane Bellanger, nous avons mis plus de deux ans à rassembler et à synthétiser les matériaux historique, technique, financier et juridique afin de constituer le premier manuel complet en langue française, respectant à la fois un souci d’exhaustivité et un souci de pédagogie. Ce travail a été reconnu par le jury du Prix du Cercle Montesquieu qui lui a décerné son prix pour l’année 2024.

Le résultat est donc accessible à tous les décideurs (ou conseilleurs) qui feront l’acquisition du livre, et pour ceux qui n’ont pas le temps de se lancer dans sa lecture, des interventions directes des auteurs sont possibles ès qualité de consultants et formateurs, un investissement minime en regard des enjeux…

C’est à ce prix que l’action et la connaissance pourront se rencontrer, pour le plus grand bénéfice des organisations concernées.

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L’éthique, un luxe ? Plutôt l’inverse…

Crédit : Fauxels/Pexels

Face à tous les défis que doivent actuellement relever les entreprises, la tentation est grande de reléguer les questions d’éthique et de RSE au rang de « nice to have », ou pour ainsi dire de superflu… Et pourtant c’est l’inverse qui est vrai. Négliger ces questions est au contraire un luxe que la plupart des entreprises ne peuvent pas se payer.

D’abord parce que si nous ne nous intéressons pas à l’éthique et à la RSE, elles s’intéressent à nous.

Les législations qui apparaissent régulièrement depuis quelques années nous obligent à organiser l’information et le respect de dispositions précises dans plusieurs domaines, notamment, pour ne citer que quelques règles s’appliquant aux entreprises de tous les secteurs :

A cela s’ajoutent les dizaines de lois européennes et nationales visant à protéger l’environnement et à encadrer les pratiques sociales et de gouvernance. Nous en faisons un inventaire déjà très fourni sans être totalement exhaustif dans notre ouvrage « Comprendre la RSE, levier de transformation durable » (Ed. Larcier, 2023).

Ces lois introduisent toutes dans leur domaine de nouvelles responsabilités (et parallèlement de nouvelles pénalités pour non-respect de leurs dispositions), se traduisant par de nouveaux comportements pour chacun des acteurs de l’entreprise. Une difficulté majeure est d’obtenir la compréhension puis surtout l’adhésion de tous pour appliquer concrètement ces nouveaux comportements.

Cela n’est en réalité possible que si la Direction de l’entreprise affiche son engagement, et le confirme par son exemplarité en la matière.

C’est précisément le stade où l’entreprise éthique (pilotée au nom de valeurs, avec une charte claire et concrète) dispose d’un, voire de deux coups d’avance. En effet :

  • Une entreprise éthique manifeste d’entrée son adhésion à des valeurs de respect des individus, de justice et de durabilité. Personne n’est surpris par l’introduction de nouvelles règles en la matière, bien au contraire.
  • Une entreprise éthique pratique fondamentalement la responsabilisation des salariés puisqu’elle les appelle dès l’embauche à adhérer à la charte ou au code de conduite interne. Cette pratique permet d’atteindre des résultats que la contrainte et/ou la surveillance ne permettent pas d’atteindre en matière de comportement, ne serait-ce qu’en raison de la complexité de ces comportements.

C’est pourquoi nous disons que négliger ces questions est un luxe que la plupart des entreprises ne peuvent pas se payer.

Mais comment devenir une entreprise éthique ? Trois étapes principales :

  1. en mettant au point les fondements de la politique de l’entreprise : en réfléchissant à sa raison d’être (et au besoin en la reformulant), et en définissant les valeurs en cohérence avec la mission et les objectifs de l’entreprise, cela au travers d’un processus de dialogue permettant de recueillir l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes (notamment les collaborateurs, partenaires et fournisseurs) ;
  2. en déployant ces valeurs de l’entreprise au travers de la stratégie, des objectifs, des processus et du tableau de bord de l’entreprise, ce qui implique une attention soutenue envers les enjeux de conformité (ou compliance) par rapport aux réglementations ;
  3. en lançant les actions de responsabilité écologique, sociétale et de gouvernance (ESG) tirées par les valeurs et par l’analyse de double matérialité : impacts des questions ESG sur l’entreprise d’une part, impact de l’entreprise sur son environnement E, S et G d’autre part.

La communication de l’entreprise, tant externe qu’interne, ne doit être qu’un accompagnement de son évolution, jamais une  promesse volontariste voire irréaliste qui l’expose au risque d’accusations de greenwashing. Faire ce que l’on dit, dire ce que l’on fait reste la règle d’or absolue ici.

L’éthique est une composante essentielle d’une entreprise en bonne santé, et c’est un atout accessible à toutes, à condition de le vouloir. Le luxe, ou plutôt le caillou dans la chaussure, ce serait de vouloir s’en passer à tout prix !

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Entre contraintes réglementaires et valeurs aspirationnelles, quelle place donner à l’éthique dans l’entreprise ?

Après avoir longtemps été ignorée ou gardée à distance par les décideurs économiques, l’éthique s’est aujourd’hui imposée comme une préoccupation pertinente pour l’entreprise. Toutefois, un certain nombre de responsables la considèrent encore plutôt comme un luxe que toutes les entreprises ne peuvent pas se payer. Mais de quoi parlons-nous ? Le terme d’éthique recouvre, en entreprise, trois niveaux (presque) sans lien entre eux : le souci de la conformité, l’aspiration à la responsabilité et le management “missionnaire”, fondé sur une conviction forte, qui débouche d’ailleurs parfois sur l’adoption du statut de société à mission.

Le souci de la conformité

Au premier niveau, pour se protéger de poursuites en justice ou d’atteintes à leur réputation, la plupart des entreprises mettent en place des procédures pour garantir le respect de règles, entre autres, contre la corruption et le blanchiment d’argent, contre le harcèlement ou contre la divulgation de données personnelles. Mais l’officialisation de ces procédures n’est pas suffisante, il faut encore former les salariés à les accepter et à les appliquer de manière inconditionnelle, faute de quoi la protection qu’elles sont censées apporter resterait inopérante. Il s’agit là de projets qui peuvent donner lieu à des déploiements ou des enrichissements poussés au sein de l’entreprise.

L’aspiration à la responsabilité

Au deuxième niveau, les entreprises essaient de plus en plus de se montrer responsables socialement et écologiquement. “Se montrer” est le terme exact, car la communication dépasse parfois les réalités, donnant lieu à ce qui est souvent dénoncé comme du greenwashing (écoblanchiment) ou du socialwashing (socioblanchiment). Néanmoins, le nombre croissant d’obligations de transparence et de reporting, la pression de l’opinion publique et de certains investisseurs conduisent à une généralisation des bonnes pratiques. C’est tout le domaine de la RSE qui permet aux entreprises de réduire significativement les nuisances que leur activité entraîne, au plan de l’environnement comme au plan humain, avec des retours sur investissement sur le plan économique comme sur celui de la réputation interne ou externe.

Le management par les valeurs

Allant plus loin, certaines entreprises font la promotion du management par les valeurs. Certaines se sentent investies d’une mission, et porteuses de convictions fortes sur le changement du monde, tandis que d’autres font juste des valeurs inscrites dans leur mission statement ou leur charte interne les principes directeurs de leur management. Par son comportement exemplaire et par l’attention qu’il porte à la mise en œuvre concrète des valeurs dans son organisation, le dirigeant inscrit ces valeurs dans la culture d’entreprise. La recherche en économie comportementale a mis en évidence à de multiples reprises la corrélation entre la culture d’entreprise – le fait qu’il existe une base culturelle commune à tous les membres d’une entreprise – et le succès (ou l’insuccès) de l’entreprise. Les recherches faites par KRW – entre autres – montrent une corrélation nette entre un leader (ou une équipe dirigeante) qualifié d’intègre, responsable, compréhensif et empathique et la performance économique. Un fond de placement a même été créé à partir d’entreprises dont le management présente un haut niveau de telles qualités.

S’il n’entre actuellement dans aucune de ces catégories, en quoi un dirigeant a-t-il intérêt à réfléchir à la façon d’introduire une dose d’éthique dans le management de son entreprise, et surtout, comment faire ?

Il convient d’abord que le dirigeant en question comprenne quel sera l’investissement (et son investissement personnel), évidemment croissant en fonction de ces trois niveaux, et l’énergie qu’il est prêt à y consacrer, mais aussi qu’il visualise le ratio de retour sur investissement, lui aussi croissant. Le premier niveau est essentiellement défensif : il s’agit de préserver la santé financière et la réputation de l’entreprise de la même manière qu’on souscrit une police d’assurance. Le gain est essentiellement une limitation des risques.

Le deuxième niveau consiste à donner à l’entreprise une légitimité, dite licence to operate, assise sur un large accord des parties prenantes et du public autour des activités et projets de l’entreprise. Dans un contexte où la RSE se généralise, c’est de moins en moins différenciant et de plus en plus un dû, mais la qualité de l’engagement RSE peut encore faire une différence positive. C’est notamment le cas pour l’engagement des salariés, car ceux-ci ressentent plus volontiers une fierté d’appartenance et une loyauté envers une société qui fait ce qui leur paraît juste sur différents plans : transparence et équité des rémunérations, respect et inclusion des minorités, protection et restauration de l’environnement naturel, lutte contre le réchauffement climatique, respect du monde animal et de la biodiversité, etc. Pour la bonne communication interne et externe, cela conduit les dirigeants à afficher des valeurs, dont certaines sont “opérationnelles” (priorité au client, agilité, innovation, audace…) et d’autres “éthiques” ou comportementales (intégrité, respect des personnes, protection de la planète…). Tout en appréciant la clarification ainsi apportée, et sans en négliger les bénéfices en termes de licence to operate, force est de reconnaître que ces valeurs se greffent plus ou moins harmonieusement sur ce qui est par ailleurs la ligne directrice de l’entreprise : maximiser ses profits.

Le management par les valeurs, ancré dans les convictions du dirigeant

Au troisième niveau, on passe de l’éthique de responsabilité à l’éthique de conviction. Le dirigeant prend l’option de fonder tout le management de l’entreprise sur des valeurs reliées à sa vision de la raison d’être de l’entreprise parce qu’il est personnellement convaincu du bien-fondé de cette option. D’une part, il a conscience des travaux de recherche en psychologie sociale qui montrent la pertinence de cette approche sur le plan économique, et d’ailleurs il ne cache pas ses objectifs économiques, abordant même la question du partage de la valeur entre les parties prenantes. D’autre part, il voit des vertus intrinsèques dans la mise en œuvre des valeurs comme axe central de son management : cela va permettre un développement harmonieux et durable de l’activité au plan humain et social, notions auxquelles le dirigeant accorde une importance élevée. Certes les efforts à accomplir sont très importants, avec notamment des phases de dialogue approfondi avec les parties prenantes, mais les bénéfices en termes d’engagement des collaborateurs et de cohésion sont significatifs : par exemple, selon une étude Microsoft Irlande, le niveau de confiance entre managers et équipes qui provient d’une culture axée sur l’efficience, de bonnes conditions de travail et la délégation, conduit les pertes de temps (la non-valeur ajoutée) à passer de 61% à 25% du temps dans les entreprises du secteur tertiaire. Le consultant et coach Fred Kiel, fondateur du cabinet KRW, a fait état dans sa vaste étude Return on Character, publiée en 2015 par Harvard Business Review Press, d’un écart d’un facteur 4,8 entre les ROA des entreprises conduites par des leaders fondant leur leadership sur des valeurs fortes et celles conduites par les dirigeants “auto-centrés”…

La fondatrice de The Body Shop, Anita Roddick, en campagne…

Allant plus loin, certains choisissent une version militante, typiquement celle choisie par Anita Roddick lors de la création de sa chaîne de produits de beauté The Body Shop. Il s’agit là de considérer l’entreprise comme un moyen de changer le monde dans le sens des convictions personnelles du dirigeant, dans son cas principalement le retour à des cosmétiques plus naturels, la défense des droits humains et le refus de l’expérimentation animale. Le succès remarquable de son concept a fait douter de sa sincérité et considérer son approche comme le nec plus ultra du marketing, mais elle-même a toujours défendu sa totale sincérité. De manière moins spectaculaire, c’est aussi le choix fait par les entreprises à mission, qui affichent un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux qu’elles se donnent pour mission de poursuivre dans le cadre de leur activité. Rien ni personne n’oblige un dirigeant à choisir cette voie qui relève à la fois de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité, dans la mesure où l’entreprise se reconnaît redevable à son environnement pour les nombreuses ressources (naturelles, humaines, technologiques ou d’infrastructure) qu’elle y puise, et qu’elle souhaite en retour contribuer au bien commun.

Savoir rester concret et fédérateur

Les valeurs doivent en majorité être concrètes et vécues.

Il y a néanmoins des risques à s’appuyer trop fortement sur des valeurs aspirationnelles, c’est-à-dire des valeurs qui reflètent davantage une cible, une aspiration vers une situation améliorée dans le futur, plutôt qu’une réalité concrète accessible dans le présent. Le risque est celui de la déconnexion entre la réalité quotidienne des salariés et le monde rêvé par l’équipe dirigeante, peut-être au cours d’un séminaire marqué par un peu trop d’enthousiasme ou, pourquoi pas, par une poussée de “pensée de groupe”… Certes si l’on retient 4 ou 5 valeurs-clé pour l’entreprise, il n’est pas mauvais d’en avoir une qui pousse au progrès et qui exprime une ambition plus qu’une réalité, mais il s’agit que les autres soient reconnues et vécues, afin que l’ensemble soit réellement fédérateur et opérationnel. Le premier test pour savoir si les valeurs mises en exergue sont des réalités est le comportement du dirigeant. Le second est celui des managers dans l’organisation. L’engagement demandé aux salariés passe d’abord par un engagement pris et respecté de manière visible par la Direction.

Se donner le temps et les moyens de la réflexion

Au vu des enjeux et des coûts, il est nécessaire de réfléchir – en s’aidant d’une documentation adéquate et de la consultation de spécialistes – à la posture et aux ambitions à fixer avant de décider, entre contraintes réglementaires et valeurs aspirationnelles, de la place à donner à éthique dans le management de l’entreprise.

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Ethique et conduite de projet

travailleur grands travaux

Les grands projets impliquent de grands risques, techniques, humains et financiers (Photo Kateryna Babaieva/Pexels).

Selon McKinsey, 98% des grands projets d’infrastructure dépassent de plus 30% leur budget initial et 77% sont en retard de plus de 40% sur leur planning initial. Une autre étude (Oxford Global Projects) montre que, selon les types de projets, 20 à 50% des grands projets d’infrastructure et d’énergie dépassent leur budget de départ de plus de 50 %, ce qui s’accompagne de retards parfois importants et de catastrophes financières. Les exemples ne manquent pas : le tunnel sous la Manche, le surgénérateur de Flamanville (12 ans de retard et quadruplement du budget), l’aéroport Willy-Brandt de Berlin-Brandebourg (10 ans de retard et quadruplement du budget), Crossrail, le futur RER londonien (4 ans de retard et dépassement de l’ordre de 20%), le bâtiment du parlement écossais à Edimbourg, champion du dépassement avec un décuplement du budget initial, le Big Dig de Boston, complexe de tunnels autoroutiers urbains, 9 ans de retard et budget multiplié par 7, ou le East Side Access à New York, projet ferroviaire, 13 ans de retard et triplement du budget… L’industrie automobile, dans le domaine des projets véhicules, connaît des statistiques moins dramatiques en amplitude mais un pourcentage élevé de projets connaît là également des dépassements de budget et des retards significatifs.

Les dépassements budgétaires varient selon les types de projet.

Les mêmes mécanismes sont à l’origine des dérives dans tous ces types de projet. Pour les comprendre, schématisons la conduite de projet en deux parties : l’intérieur et l’extérieur. L’intérieur est la partie la mieux connue et la mieux enseignée : il s’agit de faire réaliser un enchaînement de tâches complexes dans un temps donné avec des ressources déterminées pour obtenir un résultat conforme au cahier des charges initial. Il existe toutes sortes d’aléas techniques ou liés à l’environnement qui viennent perturber le bon achèvement d’un projet et personne ne contestera que cette partie du travail de conduite de projet ne soit difficile, exigeant à la fois de la maîtrise technique, une organisation rigoureuse, une bonne vision d’ensemble des paramètres vitaux du projet et donc une bonne perception des risques, une capacité d’analyse et de décision très au-dessus de la moyenne et par-dessus tout un management énergique et motivateur des équipes impliquées dans le projet. Toutefois, des méthodes et outils de gestion éprouvées, et les retours d’expérience des projets précédents contribuent à fiabiliser ce versant des projets.

Mais il n’en va pas de même de l’ « extérieur ». Avant d’arriver à un problème bien posé tel que celui qui nous venons de décrire, la direction du projet doit obtenir un consensus de multiples parties prenantes – telles que, par exemple, les clients finals, les financeurs, les contrôleurs ou le cas échéant les autorités publiques – sur le cahier des charges, le financement et les conditions d’engagement du projet. Dans une logique de contractualisation préalable où le bien-fondé du projet peut facilement être remis en cause – et donc le projet se voir annulé, un certain nombre de risques se glissent dans la négociation, comme le démontrent les  analyses des grands échecs ou des pires retards et dépassements budgétaires des grands projets.

Le premier inducteur de risque est l’ambition parfois excessive des donneurs d’ordre, qui veulent un projet plus ambitieux, plus efficace, dans un délai plus court que tous ses prédécesseurs. Le deuxième, qui lui répond, est l’attitude optimiste des maîtres d’ouvrage qui soumissionnent pour ces projets : à leur optimisme instinctif, qui résulte de la haute opinion qu’ils ont de leurs capacités et/ou de leur sous-estimation sincère des risques, s’ajoute une dose d’optimisme supplémentaire, destinée à faire approuver le projet et accepter leur offre. Ils craignent, parfois à juste titre, que la révélation des véritables coûts et des véritables délais puisse faire annuler le projet. Cette double couche d’optimisme conduit à une sous-budgétisation parfois très importante, ou à des offres trop agressives, et à une mauvaise collaboration des entreprises participantes, du fait qu’elles voient comme seul moyen de dégager une marge bénéficiaire le fait de présenter le plus d’avenants possible.

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Partager dès l’amont toutes les données chiffrées pertinentes, une étape importante pour assurer la bonne gouvernance d’un projet. (Photo : Kindel Media – Pexels)

Ce fondement bancal du projet conduit ensuite à une minimisation des problèmes lorsqu’ils commencent à apparaître, le risque subsistant, même en cours de projet,  d’un coup d’arrêt et d’une annulation. A ce stade, l’optimisme se mue facilement en mensonge, avec un travestissement des grands indicateurs du projet et un blackout de toute communication non contrôlée par la direction du projet ; chaque mensonge creuse l’écart entre la réalité et le discours, ce qui rend de plus en plus difficile la révélation de la réalité de la situation. Au bout du compte, cela débouche sur de graves conséquences financières pour les entreprises concernées.

La solution réside en partie dans le partage de données factuelles vérifiables lors de la préparation de l’engagement du projet. Les budgets et les plannings d’un projet doivent être basés sur les performances réelles et vérifiées de projets comparables et non sur des convictions personnelles ou des impératifs exogènes. Si ces données sont recueillies correctement, cela permet de mettre en échec les prévisions biaisées qui ne fonctionnent que sur Powerpoint. En cours de projet, toute l’attention nécessaire doit être accordée au recueil de données incontestables sur l’avancement quantitatif et qualitatif du projet, afin de pouvoir raccorder sans erreur la réalité et la planification initiale, et permettre, outre un pilotage pertinent, la détection anticipée des dérives méritant de faire l’objet d’une alerte. Il peut être utile, afin de donner une assise solide à un projet, de faire appel à un expert externe pour certifier la qualité des chiffrages conditionnant son cadrage, et la solidité de ses mécanismes de suivi et de contrôle.

L’autre partie de la solution réside dans l’adoption d’une éthique permettant l’acceptation par tous de l’honnêteté et de la sincérité dans le cadrage des projets, comme dans les reportings ultérieurs. Si, pour des raisons politiques ou autres, la communication d’informations sincères et factuelles est systématiquement punie au lieu d’être récompensée, il ne faut pas s’étonner que les résultats des grands projets restent décevants. Le surcoût moyen des projets continuera d’être de 80% et le retard moyen d’achèvement de 20 mois. Outre les conséquences financières que nous avons évoquées plus haut, le risque personnel est important pour les responsables, le stress ajouté par le double langage les rapproche du burnout, leur crédibilité personnelle peut rester entachée une fois révélée l’ampleur de leur mensonge, qui, à ce stade peut passer pour de l’incompétence, et il peut y avoir de plus des développements judiciaires suite à une plainte des donneurs d’ordre ou parties prenantes s’estimant lésées.

Une formation à l’importance de la transparence et de la sincérité du reporting est une mesure importante à prendre dès l’initialisation du projet. (Photo : ICSA -Pexels)

Enfin la crédibilité de l’ensemble de la profession est entachée aussi. C’est pourquoi la charte éthique de la Fédération Internationale des Ingénieurs Conseil (FIDIC) cite en premier la question de la réputation de l’industrie parmi ses 6 piliers : responsabilité vis-à-vis de la société, compétence, intégrité, impartialité, équité envers les tiers et refus de la corruption.

La bonne gouvernance d’un projet commence par la mise au clair des attentes des parties prenantes et par le partage des données factuelles et chiffrées pertinentes, afin d’arriver à un cadrage réaliste accepté par toutes les parties. Une formation aux enjeux de la transparence et de la sincérité des reportings complètera les chances du projet de rester sur la trajectoire réaliste qui lui aura été fixée.

 

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Des dangers de la solitude du dirigeant et comment s’en protéger…

La compétence ne protège pas des erreurs

Nous apprenons régulièrement que des dirigeants d’entreprises ou des personnalités politiques sont condamnés pour des faits en relation avec leurs intérêts personnels.

Comment se peut-il que des personnes, si compétentes, pertinentes et efficaces dans leurs métiers,  puissent faire des erreurs grossières dans des décisions personnelles qui, avec les avancées modernes de la société et des technologies, ont toutes les chances de les conduire devant un tribunal ? Au-delà de l’éthique, cette question porte sur l’efficacité de leurs décisions.

Comment le cerveau déraille

Les neurosciences et la psychologie sociale nous permettent aujourd’hui de comprendre comment les cerveaux les plus brillants commettent de lourdes erreurs de jugement. Nous savons par exemple que le cerveau humain analyse spontanément les situations par analogie avec ce qu’il connaît déjà, et qu’il applique alors des solutions prédéfinies. C’est plus rapide et plus économe en ressources, et cela nous a été un avantage tout au long de l’évolution des espèces. Mais dans des cas complexes, si nous ne nous donnons pas les moyens de passer sur le « système 2 » qui soumet toutes les données du problème à une analyse rationnelle, plus lente et consommatrice d’énergie, ces mécanismes nous font dérailler.

Une circonstance aggravante est la présence de biais personnels : conflit d’intérêt, attachement émotionnel excessif, ou souvenirs trompeurs, ces expériences qui semblent comparables à la situation nouvelle mais qui ne le sont pas et nous emmènent sur de fausses pistes. C’est ainsi que le général Matthew Broderick est parti se coucher juste avant la ruine des digues de la Nouvelle-Orléans, lors des dramatiques inondations de 2005, après avoir assuré au président des États-Unis qu’elles tenaient bon. Il semble que sa longue expérience opérationnelle ne comportait pas beaucoup de cas similaires…

L’intérêt d’être accompagné dans la prise de décision stratégique

Sous stress, sous la pression du délai et de la multiplicité des informations, il y a des chances très faibles pour qu’une personne seule puisse faire l’une des choses plus difficiles pour l’esprit humain, à savoir revenir sur sa première évaluation d’une situation. Le dirigeant gagne à se faire accompagner dans ses prises décisions stratégiques par des individus ou des groupes.

Ces personnes doivent toutefois être bien choisies pour être en mesure de l’aider.

Le plus simple est d’avoir recours à des aides internes, instances de gouvernance, comités de direction ou tout individu éclairé qu’ils peuvent consulter pour information et pour obtenir un avis ou un écho sur leurs décisions. Ces aides sont toutefois parties prenantes des décisions sur lesquelles leurs avis sont demandés et leurs propres raisonnements sont soumis à leurs biais d’intérêt.

Le recours à des ressources externes, professionnels de l’accompagnement des dirigeants et répondant à une éthique irréprochable, est bien entendu fort intéressant quand c’est matériellement possible. Il peut s’agir d’individus comme des conseillers de direction, des executive coachs, des sparring partners ou des groupes comme des comités consultatifs.

Le dirigeant est écouté, la cohérence de sa pensée est vérifiée, ses croyances sont questionnées, objectivées, une analyse des risques est proposée, de nouvelles voies sont ouvertes… Il lui est alors possible de reconstruire et de rationaliser sa pensée.

Développer des habitudes de pensée et d’action vertueuses

Ainsi, plutôt que de s’en remettre à sa seule intelligence, à ses seules connaissances techniques ou à son intuition, le dirigeant avisé gagne à reconnaître son imperfection, à prendre du recul par rapport à sa pensée immédiate, à reconnaître, accepter et se méfier de ses biais et de ses défauts, et à confronter ses idées à celles de conseillers ou de personnes de confiance. Se ramener aux valeurs, aux règles éthiques et aux axes stratégiques de l’entreprise permet d’éviter des erreurs et des approximations.

En prenant le temps d’analyser les situations avec d’autres, le dirigeant augmente ses chances de prendre des décisions efficaces et pertinentes.

Article co-écrit par Jean-Louis Galano et Antoine Jaulmes

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Développer une culture de responsabilité pour un fonctionnement serein porteur de performance

Nous voyons de plus en plus d’entreprises communiquer à leurs clients sur leur raison d’être, leurs valeurs, leur engagement pour servir la société, au-delà de leur objet social et de leur vocation lucrative.

Nous pourrions en citer de très nombreux exemples, comme cette assurance qui annonce un grand changement dans son identité en affirmant sa raison d’être de développer la solidarité, l’inclusion, la santé, la protection de la planète, ou encore cette néo-banque qui promeut avec force sa vocation de servir la société, l’humanité, la planète.

Qui pourrait être en désaccord avec de telles professions de foi ? Certes pas nous !

Ce qui nous gêne toutefois, c’est quand ces mêmes entreprises ne rendent pas à leurs clients le service minimum qu’elles promettent. Sans vouloir stigmatiser quiconque, nous avons constaté que l’assurance citée plus haut répond à ses clients lors d’une déclaration de sinistre avec un délai qui se compte en mois quand ce n’est pas en années, et qu’elle souffre d’ailleurs d’une e-réputation calamiteuse. La néo-banque n’hésite pas quant à elle à mentir sur les raisons de ses rejets abusifs des prélèvements sur les comptes de ses clients, leur causant des pénalités et diverses tracasseries gourmandes de temps utile.

D’autres très grandes entreprises font actuellement les frais de scandales retentissants. Certains disent que l’éthique, plus on en parle, moins on en fait. Ne sommes-nous pas dans ce cas pour ces entreprises ? et quelle est leur intention quand elles communiquent à tous vents sur des valeurs et des principes qui sont maintenant tombés dans le domaine public ? En tant que responsable d’entreprise, comment faire pour maîtriser ces risques coûteux d’être pris en défaut entre les intentions et les actes ?

RECONNAÎTRE ET DÉPASSER LE BIAIS D’INTÉRÊT

Reconnaissons d’abord que nous sommes tous sujets à ce double langage. Nous avons tous envie de bénéficier des avantages qu’apporterait telle ou telle tricherie (à commencer par un montant d’impôts anormalement réduit ou une amende qui saute) et en même temps nous voulons être perçus par notre entourage comme par nous-même comme des personnes remarquables et intègres. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les entreprises tombent dans le piège d’une communication mensongère et inefficace, ni qu’elles participent à des activités illicites ou irresponsables souvent dénoncées dans les media, qu’il s’agisse de la fraude fiscale massive qui mine notre économie, de greenwashing ou autre.

Précisément parce que cette tendance est profondément inscrite dans la nature humaine, nous sommes convaincus qu’un travail au sein des organisations pour y développer une culture de la responsabilité est possible et utile, afin de faire comprendre aux salariés les impacts de leurs comportements. Il faut en effet accepter de se former à détecter et à dépasser ces biais d’intérêt très courants qui peuvent à tout moment mettre en péril la réputation et les résultats de l’entreprise. Car le résultat direct des discours creux et des promesses non tenues, c’est au mieux la perte de confiance, au pire le scandale et le procès public, la condamnation à de lourdes amendes, parfois écrasantes.

LA VOIE VERS UN CLIMAT SEREIN PORTEUR DE PERFORMANCE

Nous rencontrons très souvent des entreprises performantes aux personnels “bien dans leur tête”, vivant dans un climat apaisé, qui ne traînent pas de scandales derrière elles. Elles ont acquis une maturité éthique et ont peut-être même sans le savoir, mis en place ce que nous reconnaissons comme les principaux facteurs d’une culture de responsabilité :

  • le rappel relativement fréquent des consignes (bien pratiqué par la fonction prévention et sécurité) : des expériences de psychologie sociale ont démontré l’impact immédiat et en grande partie inconscient de rappels d’un code moral sur les comportements.

  • l’engagement solennel à respecter un code de conduite, le plus souvent concrétisé par une signature sur un document,

  • l’exemplarité du plus haut niveau,

  • une culture de transparence qui provoque indirectement une supervision croisée entre les membres de l’organisation,

  • des formations de sensibilisation qui permettent de faire comprendre et partager les enjeux pour l’organisation et servent de support à un rappel de consignes solidement motivé et étayé,

  • une évaluation régulière et participative des résultats et des alertes reçues ou subies au sein de l’organisation, accompagnée d’une capitalisation de l’expérience et d’une amélioration “kaizen” des processus ou de l’organisation.

La démarche est avant tout concrète. Il s’agit d’aider les cadres et les salariés à réfléchir aux finalités et aux conséquences de leurs décisions au-delà des indicateurs de résultat de court terme, et donc à prendre de meilleures décisions en alignant les actes sur les valeurs et non l’inverse.

Nous pouvons l’obtenir des salariés de l’entreprise par un programme de formation et de soutien adapté. C’est une question de volonté.

Antoine JAULMES  et Jean-Louis GALANO

 

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Face aux crises, construire la résilience de l’entreprise

Un monde et une économie si fragiles

Girl with boxing gloves

Comment affronter les prochaines épreuves ?
Crédit : Thiago Schlemper (Pexels).

Crise financière hier, crise sanitaire aujourd’hui, crise climatique demain… Ceux qui pilotent une entreprise ou sont intéressés à sa pérennité, ne peuvent ni ignorer les risques ni omettre de s’y préparer…

La covid a révélé un monde fragile, interdépendant et promis à une succession de crises systémiques imprévisibles dans leur détail mais certaines dans leur principe. La prochaine crise peut même survenir rapidement, découlant de l’actuelle par une réaction en chaîne assez fréquente dans l’histoire. La pandémie pourrait par exemple avoir suffisamment aggravé l’endettement de certains Etats pour les amener à tailler dans la dépense publique ou à faire défaut sur leurs engagements financiers. De violentes secousses sociales peuvent aussi résulter de la grande pauvreté, brutalement accrue par le blocage partiel de l’économie mondiale…

Dès lors, comment construire une véritable résilience qui permette à une entreprise de limiter les dégâts lors des crises futures, voire d’en tirer des opportunités, alors même qu’elle est fragilisée financièrement et perturbée dans son « contrat social » par un télétravail pas toujours facile à bien mettre en œuvre ?

Investir dans le durable

La première partie de la réponse, classique, c’est l’investissement dans l’innovation. Pour rappeler un épisode d’histoire industrielle, c’est au moment où la grande dépression frappe l’Europe, à partir de 1930, que Philips sort de la monoculture de l’ampoule électrique à incandescence et multiplie les nouveaux produits : lampes à décharge, équipements de radiographie, postes de radio, rasoirs électriques et générateurs électriques à moteur Stirling, cela grâce à un investissement en R&D délibérément maintenu. « Investir au son du canon » a été ici le tournant qui a permis à Philips de devenir la multinationale que l’on sait.

néo-tourisme

Demain, un tourisme différent…
Crédit : Rachel Claire (Pexels)

La différence, c’est que l’innovation des années 2020 sera orientée vers la durabilité. Prenons l’exemple du secteur du tourisme, qui est loin d’être anecdotique puisqu’il représentait en 2019 10% du PIB et de l’emploi mondial (soit 330 millions d’emplois). Comment les entreprises de ce secteur vont-elles rebondir ? L’Organisation mondiale du tourisme a inscrit l’innovation et la durabilité parmi ses priorités pour la relance du tourisme. Dans l’approche dite du « tourisme régénératif », l’activité de ce secteur cessera d’être une activité consommatrice de ressources rares et destructrice de l’environnement qui cherche à limiter les dégâts pour devenir un outil permettant de populariser et de financer la cause de la préservation des écosystèmes fragiles et de la biodiversité, des cultures des peuples autochtones et de l’inclusion sociale et de l’action en faveur du climat. C’est dans ce cadre que se situeront les innovations techniques, sociales et organisationnelles qui feront renaître un secteur touristique prospère.

Investir dans l’humain

La deuxième partie de la réponse, c’est l’investissement durable dans l’humain, éthique, social, responsable (on va détailler ces trois points), car c’est du facteur humain que dépend la qualité de la réaction aux crises et donc la résilience.

Un chef d’entreprise indien, propriétaire d’une PME du Maharashtra, témoignait récemment dans un webinar dédié à la durabilité. Son entreprise avait surmonté les trois crises majeures de l’économie indienne en raison de la politique d’intégrité imposée par ses dirigeants malgré les difficultés inhérentes au contexte indien : l’instauration de la taxe carbone en 2010, la démonétisation en 2016 et la covid en 2020.  Dans les deux premiers cas, la justification minutieuse de toutes les transactions avait handicapé de nombreuses entreprises, particulièrement celles dont une grande partie de la comptabilité s’était avérée inexplicable ! Dans le cas de la crise de la covid, l’absence de contentieux avec les fournisseurs, les clients ou l’administration et la fluidité des dédouanements a permis de relancer l’activité très rapidement et, au final, de dégager une croissance en 2020 par rapport à 2019 ! En Europe, les entreprises se dotent d’outils destinés à les protéger face aux risques économiques et réputationnels résultant de la loi Sapin 2, des règles de concurrence de l’UE et du RGPD. Outre l’adoption de valeurs claires par l’entreprise, les premiers outils de cet équipement sont le code de conduite et les processus d’alerte internes, appuyés par l’exemplarité du comportement des dirigeants. Cela permet de minimiser l’impact des crises.

Collaboratrices engagées

Des collaborateurs plus engagés, donc plus efficaces…
Crédit : Alexander Suhorucov (Pexels)

Au plan social, l’engagement des salariés envers l’entreprise génère de nombreux bénéfices : turnover et absentéisme réduits, performance accrue, meilleure expérience client et réactivité en cas de coup dur. Il répond avant tout à l’engagement de l’entreprise vis-à-vis de son personnel : protection des emplois, sécurité et qualité de vie au travail, bonne organisation, orientation client et autonomie, communication et consultation des salariés, crédibilité de la hiérarchie, sentiment de justice et d’équité dans les évolutions de carrière, accès à la formation, équilibre vie privée/vie professionnelle… Le challenge de la covid a parfois eu un impact positif dans ce domaine. Un spécialiste de l’engagement des collaborateurs explique que certains dirigeants d’entreprise ont significativement amélioré les taux d’engagements mesurés en communiquant avec pertinence, en mettant en place rapidement des organisations et des outils informatiques adaptés, en prenant des mesures de protection de la santé et de la sécurité du personnel ou en maintenant les rémunérations. Leur implication personnelle a confirmé la réalité des valeurs humanistes affichées par l’entreprise, et les équipes ont été soudées par la fierté d’avoir surmonté une épreuve exceptionnelle. Le point d’attention, c’est de maintenir et d’accroître ce capital après la crise : il faudra rester fort sur la communication et l’écoute des salariés, le maintien du lien et de la proximité dans les équipes et en transversal, et la prévention des risques psycho-sociaux, notamment en cas de poursuite du télétravail. Quant aux entreprises pour qui la covid aura mis en route une spirale sociale négative, ces mêmes actions en sont encore plus urgentes voire vitales.

Autre moteur de l’engagement, la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) des entreprises. Les millennials, ceux qui n’étaient pas encore majeurs en l’an 2000, y sont très sensibles, or ils sont à présent majoritaires sur le marché du travail. Désirant avoir un impact positif sur le monde au travers de causes telles que la lutte contre le dérèglement climatique, la biodiversité, la lutte contre la pauvreté, la paix ou les discriminations de genre, de race, de sexualité, ils sont prêts à faire de véritables sacrifices, ce qui affecte les recrutements, car les jeunes candidats recherchent des employeurs à la politique de RSE affirmée. Digital natives, ils sont en outre prompts à identifier et à dénoncer le greenwashing. Les entreprises qui veulent recruter un personnel engagé et motivé doivent donc démontrer par la pratique à quel point elles se soucient de RSE. Favorable en termes d’image et de réputation, la RSE permet aussi de fédérer les salariés, comme l’a montré l’exemple de PSA, qui, pour assembler dans son usine de Poissy les respirateurs artificiels commandés par le gouvernement, a recruté sans difficulté, en plein confinement, 60 salariés volontaires, avec avis pleinement favorable des syndicats du site.

Comment les investisseurs vont nous y pousser

Au-delà des logiques de management, les dispositions évoquées plus haut forment la base de la résilience recherchée par les investisseurs et propriétaires d’entreprise. Impliqués dans le destin de long terme de leurs entreprises, ceux-ci participent en effet activement à un glissement très rapide vers un capitalisme socialement responsable.

Green Investment

Les investisseurs passent au vert. Crédit: Karolina Grabowska (Pexels)

Ainsi, des motions sur les mesures prises par la Direction des sociétés contre le changement climatique sont à présent soumises au vote dans des assemblées générales. En France, le groupe Vinci est le premier à s’y plier. Ce qui était la demande d’un fonds d’investissement militant est aujourd’hui la préoccupation commune à plusieurs gestionnaires d’actifs internationaux comme JP Morgan AM, Fidelity, Robeco, DWS, Aegon AM ou Nordea, et de grands fonds de pension anglo-saxons, qui exigent que les risques financiers liés au climat soient désormais intégrés dans les comptes et non dans un reporting annexe, et que les comités d’audit se portent garants de la bonne prise en compte des risques climatiques importants. « Publier des états financiers qui ne tiennent pas compte des impacts concrets du changement climatique revient à désinformer les dirigeants et les actionnaires et conduit à une mauvaise allocation du capital », écrivent-ils.

Mieux encore, Laurence Fink, directeur général de BlackRock, écrivait en janvier 2020 dans sa lettre annuelle aux PDG que « les preuves du risque climatique obligent les investisseurs à réévaluer les hypothèses de base de la finance moderne », et que BlackRock prendrait désormais des décisions d’investissement avec comme critère principal la durabilité environnementale. De la part du plus grand gestionnaire d’actifs au monde, gérant 7 800 milliards de dollars d’investissements, cette annonce n’a laissé aucun PDG indifférent, surtout pas ceux qui risquent de voir baisser le cours des actions de leur entreprise, devenue «  à risque ».

Dans le domaine social, la très conservatrice Business Roundtable a publié en 2019 une déclaration sur les buts de l’entreprise cosignée par 181 PDG de grandes entreprises américaines qui s’y engageaient à diriger leur entreprise dans l’intérêt de toutes les parties prenantes : clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires, un revirement complet par rapport au passé de la même organisation, jusque-là fidèle à la doctrine Friedman, à savoir la primauté des seuls actionnaires. Cela définit de facto une nouvelle norme en matière de responsabilité des entreprises aux Etats-Unis.

« Je pense que la pandémie a présenté une crise existentielle telle – un rappel si brutal de notre fragilité – qu’elle nous a poussés à affronter avec plus de force la menace mondiale du changement climatique et à considérer comment, comme la pandémie, elle va modifier nos vies » écrivait encore Laurence Fink dans sa lettre de 2021. Il n’y aura pas de retour en arrière. L’avenir concret à court-terme de chaque entreprise passe par une réflexion sur ses responsabilités, ses relations avec ses parties prenantes afin de construire un modèle d’entreprise résilient devant le risque climatique et social, et par conséquent devant les autres types de crise possibles.

Antoine Jaulmes

Article paru dans la Lettre de XMP-Consult d’avril 2021.

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Réussir le télétravail, un défi et un projet d’entreprise

Un sujet d’une actualité brûlante

Travailler seul

Seul et heureux de l’être ?

La généralisation du télétravail est la première grande tendance qui résulte de l’épidémie de covid-19 et tout s’accélère avec la fin du confinement. Google et Facebook ont annoncé début mai à leurs salariés que le télétravail était prolongé jusqu’à 2021. Le Groupe PSA a franchi le Rubicon du télétravail définitif : par la voix de son directeur des Ressources Humaines, il a annoncé le 5 mai que le télétravail serait désormais la nouvelle norme d’organisation du Groupe pour les activités tertiaires, avec un jour à un jour et demi de présence sur site, une décision qui touche potentiellement 80 000 personnes. Il est vrai que PSA avait déjà largement expérimenté le télétravail 1 ou 2 jours par semaines pour les salariés volontaires avec l’accord de leur hiérarchie. D’autres entreprises ont manifesté les mêmes intentions même si beaucoup hésitent encore sur la conduite à tenir. Sensibles à la souplesse apportée à leur emploi du temps par le télétravail et à l’économie de temps parfois très sensible qu’il permet, les salariés sont, d’après plusieurs sondages, en majorité demandeurs d’une pérennisation du télétravail, en particulier chez ceux qui l’ont expérimenté ces dernières semaines. Devant le risque d’une révolution copernicienne dans les relations sociales et les conditions de travail, la CFTC, la CFDT et l’Unsa ont publié le 14 mai un document commun de recommandations sur le télétravail. Simultanément, le président du MEDEF écrivait aux organisations syndicales pour leur proposer de conduire ensemble un travail de diagnostic visant à identifier précisément les enjeux du télétravail, à répertorier la diversité des pratiques et à analyser les opportunités et difficultés rencontrées par les salariés comme par les entreprises, « afin, le cas échéant, de porter dans le débat public une position paritaire ».

Une nouvelle tendance paradoxale

Googleplex

Vue aérienne du Googleplex à Mountain View, en Californie.

Ce qui est surprenant dans l’annonce de PSA, c’est que cette nouvelle tendance va exactement à l’encontre de cet « effet plateau » ou « effet de serre », encore vanté il y a peu, et non sans raison, comme l’une des recettes de la cohésion et de l’efficacité des équipes, en particulier des équipes projet. Le télétravail n’a d’ailleurs pas toujours été plébiscité par toutes les grandes entreprises. En février 2013, la nouvelle CEO de Yahoo!, Marissa Mayer, avait purement et simplement aboli le télétravail dans toute l’entreprise avançant comme raison que « pour devenir le meilleur endroit où travailler, la communication et la collaboration seront importantes, donc nous devons travailler côte à côte », et que « certaines des meilleures décisions et idées proviennent de discussions dans les couloirs et à la cafétéria, de rencontres avec de nouvelles personnes et de réunions d’équipe improvisées. La rapidité et la qualité sont souvent sacrifiées lorsque nous travaillons à la maison. » Dans les mois qui ont suivi, Reddit.com, une « licorne » qui fait partie des 20 premiers sites internet mondiaux et le géant du commerce de détail Best Buy ont emboîté le pas à Yahoo. Parmi les GAFAM, Apple, Google et Facebook ont investi dans d’énormes campus pour accueillir des équipes de développement sur un même site. Yishan Wong, alors PDG de Reddit, tout comme Eric Schmidt, le PDG de Google, ont développé des arguments proches de ceux de Marissa Mayer, notamment pour le dernier nommé dans son livre « How Google Works », paru en 2014. Pour lui, les « créatifs intelligents », ressource-clé de l’entreprise, sont plus efficaces dans la proximité physique : « Ils s’épanouissent en interagissant les uns avec les autres. Le mélange que vous obtenez lorsque vous les mettez ensemble est un combustible, donc une priorité absolue doit être de les garder proches les uns des autres. » Fait troublant, les faits ont semblé donner raison à ce volet de la politique de Marissa Mayer : dans l’année qui a suivi sa décision, les démissions ont baissé de 60% et 12% des recrutements de 2013 (année suivant ce changement de politique), étaient d’anciens salariés de Yahoo qui avaient eu envie d’y revenir.

Augmenter la productivité

Alors pourquoi se priver de ces avantages avérés ? Les raisons avancées par PSA pour la promotion du télétravail sont un mélange d’économie et de social : diminuer drastiquement les surfaces de bureau, baisser les coûts, et « en même temps » faciliter la vie des salariés en leur rendant le temps qu’ils perdaient dans les transports quotidiens et en leur donnant une plus grande flexibilité dans leurs horaires de travail. PSA ajoute, ce qui ne gâte rien, que c’est un passage obligé pour atteindre l’objectif de neutralité carbone du Groupe en 2050.

Réduction du parc immobilier, gain de temps, économies d’énergie, élimination des gaspillages, la productivité, rebaptisée « efficience » ou encore « frugalité ingénieuse » par Carlos Tavarès, est donc une motivation essentielle de cette nouvelle orientation. Ce sera sans doute une contribution utile à la stabilisation de l’entreprise après ce qu’il faut bien appeler le « choc du Covid-19 », responsable d’une chute de 80% des ventes en mars-avril.

Dans l’immédiat, cela permet bien sûr aussi de relancer sans délai l’activité tout en protégeant les salariés contre la contagion du coronavirus, et en évitant les véritables travaux d’Hercule, longs et coûteux, que supposeraient la transformation de milliers de postes de travail en open space pour les mettre aux normes sanitaires nouvelles. Cet élément d’urgence impose un planning très tendu pour prendre les nombreuses mesures d’organisation et d’accompagnement qui permettront de réussir ce basculement des modes de fonctionnement de toute l’entreprise vers un télétravail généralisé et pérenne.

L’adoption du télétravail à grande échelle fait en effet courir à l’entreprise trois catégories de risques à court et moyen-terme qu’il lui faudra lever par des décisions et des politiques appropriées : le risque santé, le risque psycho-social et le risque d’inadaptation du management.

Le risque santé

L’INRS a lancé l’alerte dès le début du confinement : le télétravail induit pour les salariés une réduction du niveau d’activité

Dangers du grignotage

Le grignotage, un danger…

physique et une tendance accrue au comportement ultra-sédentaire, dont les effets négatifs sur la santé sont nombreux : obésité (57% des Français auraient pris en moyenne un peu plus de deux kilos en 7 semaines de confinement), pathologies cardiovasculaires et circulatoires, troubles métaboliques comme le diabète de type 2, certains cancers (colon, poumon, utérus…). Le travail à la maison n’est pas structuré par les déplacements et les rituels sociaux comme la journée de travail au bureau ou à l’usine : il n’y a pas toujours d’arrêt franc pour les pauses, les repas ou la fin de journée, et il faut s’adapter aux horaires de travail disparates des collègues, eux aussi en télétravail, ce qui peut amener à rester connecté sur une plage de temps plus longue, voire conduire à une hyper-connexion. La marche associée aux trajets quotidiens est supprimée ainsi que tous les petits déplacements et changements de position : on ne décolle pas de son siège pour se rendre en salle de réunion, ou auprès d’un collègue à l’étage en dessous pour échanger, et on n’a que quelques pas à faire pour aller en pause-café ou pause-repas. Enfin, le poste de travail, supposé (par auto-déclaration du salarié, qui n’est pas un expert) être adapté à l’activité réalisée à domicile, est en réalité « résultant » : les télétravailleurs s’adaptent au mobilier domestique existant avec tous les problèmes de postures et d’éclairage que peut poser le fait de travailler dans un bureau improvisé, parfois dans une cuisine ou un salon, au risque de prendre l’habitude de se caler dans un canapé en face d’une table basse…

Le risque psycho-social

Les nombreuses conséquences psychologiques liées à l’isolement physique 3 ou 4 jours par semaine, sans perspective de fin de confinement, vont se préciser au fil des mois et années.

Visio-conférence à plusieurs

La visio-conférence, un moyen de communication fatiguant et parfois décevant.

L’affaiblissement de la qualité de la communication en sera la première malgré les contacts établis par visio-conférence ou visio-appel téléphonique. On supporte ces moyens dégradés, leurs coupures, leurs flous et leurs contre-plongées malencontreuses parce qu’ils pallient d’une manière qu’on sait temporaire à l’absence de contact direct en situation de confinement, mais l’imperfection même de ces moyens de communication est un rappel de ce qui nous manque, à savoir une communication inter-humaine reposant sur le contact physique et les cinq sens. Pourquoi cela ? Les spécialistes de la communication, comme Paula Niedenthal, professeur de psychologie à l’université du Wisconsin-Madison, expliquent que l’analyse automatique par notre cerveau des plus petits signaux non-verbaux est essentielle à notre compréhension mutuelle. Lorsque ceux-ci sont, selon les cas, déformés, hachés, figés, lissés ou retardés pour préserver la bande passante, ces incohérences récurrentes fatiguent les interlocuteurs, car « notre cerveau est un générateur de prédictions, et lorsqu’il y a des retards ou que les expressions faciales sont figées ou désynchronisées, nous percevons cela comme une erreur de prédiction qui doit être corrigée. Que ce soit au niveau subconscient ou conscient, nous devons faire plus de travail parce que certains aspects de nos prédictions ne sont pas confirmés, et cela peut devenir épuisant. »

En outre, la difficulté à capter le regard des interlocuteurs perturbe notre capacité d’empathie et d’établissement de la confiance mutuelle. Les angles de prise de vue imposés par les caméras intégrées aux ordinateurs portables donnent souvent l’impression que les gens regardent vers le haut, vers le bas ou sur le côté. Ils peuvent alors être inconsciemment perçus comme indifférents, sournois, hautains, serviles ou coupables. De plus, celui qui parle peut avoir l’impression – parfois justifiée – d’être observé et jugé en permanence. Enfin, l’absence de lecture des retours non verbaux à notre communication peut conduire à de véritables quiproquos.

Finie, la spontanéité des conversations de couloir ou de cantine, jusque-là vecteurs de communication essentiels (les fameux bruits de couloir), finie la lecture des « signaux faibles » qui permettent de situer son interlocuteur et d’aller plus loin dans la confidence, ou au contraire de percevoir son malaise, finie la prise de température lors du bonjour du matin, finis les partages de petits plaisirs qui créent la cohésion comme la tarte maison ou les croissants offerts aux collègues pour telle ou telle occasion, finis les clins d’œil entendus, les sourires ou les grimaces…

Fini aussi le contact physique qui, avec toutes les précautions dont il s’entoure aujourd’hui dans le milieu professionnel, reste un catalyseur de la communication. Le toucher est le premier des sens à se développer chez l’enfant humain, et il reste central sur le plan émotionnel tout au long de la vie. Selon les situations, une main sur l’épaule, une tape dans le dos, une poignée de main, une embrassade convoie une charge émotionnelle, une énergie et un message que ne pourraient pas exprimer de longs discours. Variables selon les cultures, ces gestes aident aussi chacun à développer sa confiance en soi et à lier des relations personnelles solides. Une étude récente montre que, même si nous n’avons aucun souvenir conscient d’un toucher – une main sur l’épaule, par exemple, ce toucher induit une disposition qui nous rend plus susceptibles d’accepter une demande, de répondre positivement à une proposition, ou de former des liens étroits avec quelqu’un. Une étude médicale a même mis en évidence que l’absence de toucher diminuait les défenses immunitaires ! La poignée de mains est donc, entre autres, une pratique extrêmement saine. L’absence de contact physique est en lui-même générateur de stress et donc de fragilité tant physique que psychologique, mais aussi le signe d’une exclusion par rapport à une vie sociale qui sera supporté de manière diverse selon les environnements familiaux des salariés. Pour le psychothérapeute Xavier Alas Luquetas, cette dimension sociale est un vecteur de sens et de reconnaissance pour l’individu et on a tout à redouter de son absence.

Par ailleurs, au terme de plusieurs années d’étude sur les expériences de télétravail, les psychologues du travail soulignent que, comme dans le cas de l’automatisation des tâches, la numérisation engendre de la charge mentale : intensification du travail, élévation du niveau des compétences exigées, banalisation du contrôle et de la surveillance en temps réel. Elle augmente l’exigence d’autonomie et d’agilité du salarié qui doit travailler en réseau étendu et rendre efficientes ses interactions transversales sans pouvoir s’appuyer sur un hiérarchique ou un collègue plus expérimenté. Les défauts de la formation initiale et/ou de la formation au poste ne sont plus compensés par ces méthodes informelles, et le salarié, le plus souvent laissé seul devant les problèmes à résoudre, peut se sentir en inadéquation alors même que c’est sa formation initiale ou pratique qui n’a pas été assurée correctement par l’entreprise.

Le risque d’inadaptation du management

Comment le management va-t-il s’exercer dans ces situations de télétravail ? La régulation de la charge de travail est plus difficile à faire à distance, d’autant que dans la période actuelle les managers sont très sollicités. En théorie, le manager est celui qui donne les instructions et répartit le travail au sein d’une équipe, vérifie la charge de travail de chacun et s’assure que la personne dispose des moyens pour bien faire son travail. Pour cela, le fait de voir la personne était jusqu’ici important, afin d’utiliser toutes les informations verbales et non-verbales transmises lors d’un entretien ou d’une conversation en face à face.

Les praticiens du télétravail ont leurs méthodes et leurs recettes : par exemple Sid Sijbrandij, le créateur et CEO de GitLab, une « licorne » que les circonstances ont conduit à se développer entièrement en travail à distance pendant plusieurs années et qui compte 1 140 employés répartis dans 56 pays. Il affiche les principes de management suivants :

  • privilégier la mesure des résultats par rapport au contrôle du temps passé ;
  • tout documenter, faire en sorte que l’information soit complète transparente et accessible en ligne à tout moment ;
  • utiliser les défis comme des opportunités d’apprentissage, ce qui regroupe deux idées importantes : l’attitude dite du « welcome problems » et la pratique de l’ « entreprise apprenante ».

Il est donc probable que divers outils de contrôle se mettent en place faisant appel aux technologies actuellement en vogue : contrôle de l’activité au travers d’un suivi d’activité du poste de travail, contrôles aléatoires plus ou moins fréquents des sites internet auquel le salarié accède pendant son temps de travail, et bien sûr appels inopinés par messagerie instantanée… Tous ces outils permettant de réaliser très facilement des suivis d’activité et d’efficacité, c’est une pression qui peut rapidement devenir étouffante pour des salariés habitués jusque-là à disposer de quelques marges de manœuvre.

Sous cette pression accrue, il est à craindre que des personnes se retrouvent dans des situations d’épuisement avant que leur manager ne s’en rende compte, notamment parce que les fameux « signaux faibles » avant-coureurs de troubles psycho-sociaux plus graves deviennent plus difficiles à repérer. Qu’adviendra-t-il des personnes isolées soumises à un management techniquement intrusif et humainement distant ?

Des phénomènes déjà observables dans les expériences de télétravail

Vue de l’esprit ? Propos alarmistes inutilement pessimistes ? Hélas, le dernier baromètre d’évaluation de la santé psychique des travailleurs français, réalisé par Empreinte Humaine et Opinion Way, témoigne bien d’une accélération de la souffrance psychologique liée au travail lors du confinement :

  • 47% des sondés s’estiment en situation de détresse psychologique dont 21% en détresse élevée ;
  • 62% ressentent de la fatigue liée au confinement ;
  • les femmes (28%) et managers (de 30 à 47% en fonction de leur niveau de responsabilité) sont les plus touchés par la détresse psychologique élevée.

Cette détresse psychique s’explique par différents ressentis :

  • 51% des salariés ont le sentiment de ne pas avoir de moment de répit ;
  • 58% trouvent que les journées de travail sont plus longues qu’avant le confinement.

La taille du logement de confinement agit également sur cet accroissement de la souffrance psychologique, ainsi 60% des travailleurs confinés dans un logement de moins de 40 m2 indiquent être éprouvés par la situation.

D’autre part, si en temps normal, la prise en charge et l’écoute de la souffrance d’un salarié au sein d’une entreprise n’est déjà malheureusement pas systématique, le confinement rend la chose encore plus difficile. Ainsi 41% des salariés ne savent pas à qui s’adresser dans l’entreprise pour parler de leur stress.

La perspective d’une pérennisation de la situation de confinement 4 jours sur 5 pose donc un véritable problème : « la santé psychologique des salariés constitue en effet un actif important de l’entreprise », souligne Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine. Cette réalité semble d’ailleurs ne pas échapper aux dirigeants d’entreprise puisque 45% des salariés déclarent que leur direction démontre une préoccupation importante vis-à-vis de la prévention du stress.

Reste à savoir comment résoudre ces questions. Au moment où les salariés, au sortir de la crise du Covid-19, ont une conscience aigüe des problématiques de santé, la manœuvre consistant à passer au télétravail permanent est donc délicate. Son succès reposera sur la relation de confiance qui pourra s’établir entre l’employeur et les salariés, qu’il faudra convaincre que tout est mis en œuvre pour que leur intégrité soit préservée.

Les mesures de prévention concernant la santé des salariés

L’employeur devra veiller à ce que les conditions de travail à domicile permettent d’assurer la santé et la sécurité de ses

Poste de travail

Bien aménager le poste de travail…

collaborateurs. Les entreprises devront adapter leurs messages de prévention et certains aspects de l’organisation du travail pour faire comprendre et appliquer par les salariés toute une série de nouvelles préconisations :

  • s’assurer de la qualité de l’environnement de travail du salarié, d’abord par un questionnaire portant sur des points objectifs : pièce séparée ou non des pièces à vivre du logement, présence d’autres personnes dans le logement pendant les heures de travail et contraintes associées, mobilier, éclairage et mesure du débit en bout de réseau, wifi compris, puis éventuellement en imaginant une aide pour l’aménagement et l’amélioration du poste de travail.
  • organiser la limitation du temps passé assis devant un écran de manière ininterrompue, par exemple en encourageant la marche pendant les appels téléphoniques, en proposant des pauses courtes mais régulières, avec des suggestions d’activité telle que marche ou étirements, en proposant régulièrement de changer de position par des messages (comme les rappels affichés par les GPS des voitures à l’intention des conducteurs), en suggérant d’utiliser le mobilier environnant pour surélever l’écran et participer à des visioconférences en position debout…
  • planifier de courtes réunions d’équipe au cours de la journée, auxquelles les salariés seront encouragés à participer debout…
  • s’assurer que les salariés organisent leur journée de travail à l’avance en se fixant des horaires et en prévoyant l’heure de leur pause déjeuner.
  • informer sur les méfaits des prises alimentaires dispersées (le fameux « grignotage ») pendant les heures de travail et plus généralement sur la diététique avec les conseils par exemple d’un site comme https://www.mangerbouger.fr.
  • encourager les salariés à prévoir, à la fin de leur journée de travail, une activité dynamique sans écran (exercices physiques, jeux avec les enfants, bricolage…)
  • encourager fortement la pratique d’une activité physique régulière, a minima les fameuses 30 minutes de marche par jour, mais aussi des activités gymniques qui renforcent les muscles et améliorent la souplesse et l’équilibre, comme cela a été proposé sur le site du ministère des sports pendant le confinement. On pourra conseiller aux salariés l’utilisation d’une application podomètre sur téléphone portable pour s’assurer de la régularité de son activité physique.
Ergonomie insuffisante

Éviter les ergonomies « résultantes ».

L’encadrement devra aussi respecter et faire respecter le droit à la déconnexion des télétravailleurs, ce qui, en situation de télétravail, devient un point fondamental de la bonne conduite du management.

Faudra-t-il aller plus loin et instituer des séances de gymnastique collectives, du yoga, de la respiration, de la méditation ? On peut imaginer que les diverses séances proposées et la nécessité d’y participer en direct ou en différé soit rappelées en début de réunion, comme cela se fait déjà parfois pour d’autres messages de prévention.

Faut-il penser à des audits de poste à domicile, avec, le cas échéant, des aides financières à l’aménagement du poste de travail ? Où sont les limites de la responsabilité, les bornes de l’intrusion ? Voilà un domaine qui doit être balisé par des accords d’entreprise signés après débat dans les CSE.

Les mesures de prévention des risques psycho-sociaux

Les nombreuses difficultés liées à l’appauvrissement de la communication sont peu susceptibles d’amélioration dans l’immédiat. Les salariés semblent en être conscients puisque dans une enquête récente, ils ne sont que 15% à envisager de télétravailler 3 jours ou plus, et selon une autre, seuls 22% de ceux qui sont intéressés par le télétravail envisagent de le faire 4 ou 5 jours par semaine. Il sera donc important de réfléchir avec soin, particulièrement dans le cas d’un télétravail sur 3 jours ou plus, sur la manière de rendre les quelques heures par semaine passées en présentiel sur un même site plus signifiantes et plus satisfaisantes. Il ne s’agit pas de répéter l’expérience de certaines de ces journées au bureau où l’on se côtoyait sans vraiment communiquer avec les collègues. Il faut faire des journées en présentiel des temps forts de la communication et de la participation des salariés à des activités collectives. Cela pourra revêtir la forme d’entretiens individuels, d’échanges entre collègues, de réunions d’information (si possible dépouillées de leurs longueurs traditionnelles), de groupes de travail consacrés à de la résolution de problèmes, de suivis d’avancement des projets et des actions en « obeya » (ou « war room ») sur la base d’indicateurs et de plans d’actions visuels. D’une manière générale tout ce qui valorise le salarié au travers de son expression ou de sa participation sera clé pour la réussite de ces journées, et pour développer le sentiment d’appartenance et la fierté du travail accompli qui viendront compenser les effets de la perte de repère vis-à-vis du collectif qui survient du fait du travail isolé.

Face à la demande d’autonomie accrue dans le cadre du télétravail, la formation des salariés devra être renforcée pour leur permettre d’opérer rapidement dans le nouveau contexte avec toute l’efficacité voulue. Les bases de connaissance et de données devront être mises à jour en temps réel pour permettre la meilleure efficience de tous. En compensation de la perte des appuis informels traditionnels, des dispositifs de coaching, de mentoring ou de peer-coaching doivent être très largement développés, non seulement pour compenser ce qui aura été perdu par le passage au télétravail mais aussi pour faciliter le développement personnel des collaborateurs. L’intervention de psychologues peut aussi permettre d’améliorer l’ergonomie de cette nouvelle situation de travail.

La plupart de ces mesures exigent un cadre sécurisant et surtout une véritable relation de confiance au sein de l’équipe / de l’entreprise, ce qui dépend avant tout de la qualité des managers. Chaque entreprise doit trouver ses marques. Chez GitLab, les salariés, très dispersés géographiquement, sont en contact fréquents grâce à des appels d’équipe quotidiens et à des discussions sur Zoom et Slack – où ils discutent d’ailleurs souvent d’activités non professionnelles, mais ils bénéficient aussi de « subventions de visite » qui les aident à couvrir les coûts lorsque certains se rendent dans des régions où se trouvent d’autres employés. Les résultats sont très encourageants puisque l’entreprise est cotée parmi les meilleures dans les classements de qualité de vie au travail publiés par certains media : dans le baromètre de Forbes magazine, le CEO enregistre par exemple 97% de taux d’approbation et la société 97% de taux de recommandation par ses propres salariés (« recommanderiez-vous à un ami de travailler dans votre société ? »).

Prévention des risques liés au management

Il faudra bien entendu d’abord emprunter les voies légales du dialogue social pour régler les nombreuses difficultés pratiques engendrées par le télétravail systématique. Tout en restant attentifs à l’équité entre le nouveau statut de télétravailleurs et celui de ceux qui resteront attachés à un site de travail, il s’agit tout d’abord d’éviter les effets de démotivation liés à des éléments très matériels. Les employés de Google en télétravail ont ainsi été perturbés par le fait que le télétravail les privait de certaines facilités d’organisation (comme le temps gagné par le salarié du fait de son accès à la restauration collective de l’entreprise), ce qui, selon certains, allait réduire leur productivité. Ils ont également ressenti négativement la perte d’avantages en nature tels que l’accès à la nourriture ou aux boissons gratuites ou subventionnées disponibles sur le site de l’entreprise, à la remise en forme dans la salle de sport du site, etc. Il leur a aussi été signifié l’interdiction d’utiliser les budgets de frais généraux pour l’achat de repas pour soi-même et son équipe lors de réunions virtuelles, chose qui avait été permise dans le passé. Il faut imaginer comment compenser la perte de services tels que crèches d’entreprise, conciergeries, salles de sport – tous dispositifs imaginés pour faciliter la vie des salariés attachés à un site industriel ou tertiaire – sans créer d’injustices, donc sans doute pour une part au cas par cas.

Les questions d’équipement et d’ergonomie du poste de travail sont également à traiter dans un subtil équilibre entre la nécessaire réponse aux besoins fondamentaux des salariés et le souci d’une saine gestion des dépenses. Les télétravailleurs chevronnés de GitLab ont par exemple beaucoup réfléchi à leurs bureaux à domicile, à l’emplacement de leurs webcams, à leurs sièges ergonomiques.

Pour arbitrer sur ces premiers niveaux de besoin, les managers des équipes seront les pivots de l’organisation. Ils seront encore en première ligne pour s’assurer de la santé physique et psychologique des salariés.

Entretien positif

L’encadrement doit continuer à assurer son rôle relationnel.

Au-delà de ces préoccupations, l’encadrement devra trouver les moyens de continuer à assurer son rôle relationnel, essentiel au bon fonctionnement de l’entreprise, en écoutant les salariés, en leur donnant des feedbacks et de la reconnaissance, ce ressort primordial du management. Il restera responsable de l’aspect technique : pilotage des activités, régulation des charges de travail, adaptation des méthodes, organisation des formations et prise des décisions d’organisation nécessaires, le tout en assurant la cohésion et la motivation des équipes. Il importe donc que ces pivots de la nouvelle organisation soient eux-mêmes en grande cohésion avec l’entreprise, qu’avant de conforter les télétravailleurs dans la nouvelle organisation, ils soient eux-mêmes confortés dans leur rôle et se sentent bien armés pour l’exercer dans les nouvelles conditions. Et, pour être de bons motivateurs, il faut qu’ils soient eux-mêmes très motivés…

Des formations, un appui logistique aisément accessible en ligne, des hotlines pour les situations urgentes, et un accompagnement seront nécessaires, dans des domaines aussi variés que les nouvelles pratiques de management, les connaissances et tours de main sur les systèmes informatiques et la télécommunication, l’ergonomie du télétravail, la prévention des risques psycho-sociaux, les relations  sociales et le juridique, la confidentialité des données, la conduite d’un entretien via une téléconférence…

Mais comment donner du sens alors qu’il est probable que certains membres de l’encadrement se sentent personnellement déstabilisés, isolés ou dévalorisés, à la fois par l’autonomie supplémentaire donnée à leurs équipiers et par la raréfaction des contacts signifiants avec leurs supérieurs ?

C’est le moment de resouder les équipes et leurs managers, la Direction générale et les managers autour des valeurs fondamentales de l’entreprise, de sa raison d’être et de son éthique, avant d’en décliner la traduction en termes de stratégie, de modes de fonctionnement et, last but not least, d’engagement dans la Responsabilité Sociale et Environnementale. Un nouveau contrat social doit être passé à l’occasion du bouleversement que représente le basculement vers le télétravail. Les salariés auront besoin, en substitution des encouragements quotidiens de leur hiérarchie et de l’esprit d’équipe ressenti lorsqu’on se retrouve au sein d’une communauté de travail, d’une loyauté et d’un attachement forts aux projets et aux buts même de l’entreprise. Avant de se consacrer dans un cadre appauvri en relations humaines aux travaux parfois difficiles qui leur seront demandés, il leur faudra une motivation de bon aloi, assise sur la confiance dans les valeurs et la conduite de leur employeur. Ce qui suppose que celui-ci les ait exprimé de manière claire, authentique et légitime.

Ce sont en particulier les éléments que l’on trouve dans les chartes ou codes de conduite parfois adoptés de manière un peu rapide par certains, mais traités en profondeur par les grands groupes qui sont conscients de la force de cette approche. Les grandes composantes en sont le quadruplet purpose-profit-people-planet :

  • d’abord la raison d’être (purpose). Obélix le rappelle souvent à son ami et stratège Astérix, « j’aime savoir pourquoi nous combattons ». C’est essentiel en effet. Toutes les entreprises ont mis en forme ce qu’est leur mission, il s’agit simplement ici de la rappeler et de montrer dans un texte très court comment elle s’articule avec l’ambition et les valeurs-clé de l’entreprise.
  • La partie « engagements d’entreprise » (profit) concerne sa vision de ses responsabilités et de ses pratiques vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs, de son marketing, sa gouvernance, ses pratiques de communication financière, son engagement vis-à-vis de la corruption, cette partie n’est que peu affectée par le télétravail même si les modalités de sa mise en œuvre peuvent en être compliquées ;
  • la partie personnel (people) regroupe ses principes et pratiques en tant qu’employeur, qu’il est précisément utile de mettre à jour pour s’adapter au télétravail et aux divers changements résultants de la prise en compte de la crise du covid-19 ;
  • la partie RSE (planet) est de première importance à un moment où il faut s’assurer de la pleine adhésion des équipes par rapport à l’entreprise et fidéliser des collaborateurs désormais isolés une bonne partie du temps. Mettre en avant son utilité sociale, son engagement face à la crise et aux problèmes environnementaux, c’est donner un supplément de sens à l’action quotidienne. Les salariés sont sensibles à ce que fait l’entreprise en termes de diversité, d’insertion, de travail précaire, d’apprentissage, de qualité de vie au travail mais aussi concernant la réduction de l’empreinte CO2 de l’activité et la préservation de l’environnement naturel.

Les démarches de remaniement ou de refonte des chartes éthiques ou codes de conduite devront le plus possible s’appuyer sur le corps social que forme l’entreprise et qui est tout entier concerné par les règles que fixent ces documents. Pour complexe qu’elle puisse être à organiser, la consultation et la participation des salariés peut être un puissant levier d’adhésion. Ces salariés hyperconnectés utiliseront leur pouvoir digital pour communiquer et relayer vers le public le bien qu’ils pensent de leur entreprise.

Dans la perspective du passage au télétravail, il importe donc de développer un kit de management permettant d’autonomiser les collaborateurs de manière sécurisée et sécurisante : le code de conduite, la procédure permettant de tout documenter en instantané et de donner accès à l’information à tous à tout moment, les rituels-clés, l’accès aux différents accompagnements mis en place, les voies de recours en cas de problème, le soutien logistique…  L’expérience d’une entreprise 100% en télétravail comme GitLab montre que c’est possible, mais pas sans l’implication totale du plus haut niveau…

Un pilotage au plus haut niveau

L’ampleur des transformations liées à la décision de passage en télétravail exige une implication par l’exemplarité et un pilotage au plus haut niveau de l’entreprise car les risques sont multiples et l’échec serait coûteux.

Cette mutation accélère le passage vers des fonctionnements organisationnels plus horizontaux, transversaux et coopératifs. Demain le CEO pourra être directement interpellé par un jeune salarié débutant sur les réseaux sociaux internes ou non, et ce même dans les grandes structures. Une « opinion publique » digitale va donc se former. D’autre part l’information, mieux structurée et plus accessible, amènera les experts à communiquer sans filtre avec les utilisateurs, mettant fin aux tours d’ivoire qui subsistaient encore.

La difficulté pourrait être que chacun n’y trouve pas son compte, ni sa place. Des fractures nouvelles risquent d’apparaître, entre ceux qui sont très à l’aise avec la technologie et le mode de relation dématérialisé et ceux qui peinent à les adopter, entre ceux dont les compétences réelles trop étroites ou spécialisées ne peuvent pas se passer de l’appui d’une équipe pour exécuter leur mission et ceux qui sont déjà pleinement autonomes, entre ceux qui auront le sentiment d’être les co-créateurs d’une nouvelle phase, particulièrement motivante, de la vie de l’entreprise, et ceux qui se verront comme des exécutants sur qui retombe une série de nouvelles contraintes .

Il est possible que la transparence accrue fasse apparaître des redondances d’organisation ouvrant des espaces de conflits de compétence où le management supérieur devra intervenir sans tarder.

Divers autres dérapages sont susceptibles de se produire dans les domaines de la confidentialité des données, du respect de la vie privée, pouvant mettre très rapidement en péril soit une partie du patrimoine de l’entreprise, soit sa réputation.

Sans qu’il soit besoin d’aller plus loin dans les scénarios possibles, il apparaît clairement nécessaire que la mutation de l’entreprise qui souhaite basculer en télétravail soit pilotée de très près par sa Direction générale. Un suivi en temps réel des difficultés et des impacts positifs ou non du passage au télétravail peut s’appuyer sur de multiples outils, numériques ou non, permettant de recueillir les ressentis et de dresser un bilan évolutif des actions réalisées. Il est très vraisemblable que ce comité de pilotage de haut niveau doive, de façon très réactive, décider d’actions complémentaires, créer des groupes de travail opérationnels pour lever certaines difficultés et éventuellement ajuster les orientations initiales en fonction des premiers retours d’expérience.

Le professionnalisme de ce pilotage au plus haut niveau et de la communication interne qui jalonnera cette nouvelle organisation de l’entreprise seront les meilleurs garants de son succès.

 

Publié par Antoine Jaulmes dans Non classé, 6 commentaires

Le Covid-19, une occasion exceptionnelle de se transformer

Covid-19, risque d'avalanche?

Devant une crise globale, inédite par ses conséquences sur la vie des entreprises, leurs responsables sont assaillis de priorités multiples à traiter en très peu de temps. La première de ces priorités est la survie de l’entreprise à court-terme, et donc le plan de continuité d’activité, mais c’est inséparable d’une préparation de la sortie de crise, qui doit être l’occasion d’un véritable rebond, et de la nécessaire réflexion sur les leçons apprises à l’occasion de cette crise. Même débordé par l’avalanche de problèmes à traiter simultanément, comment négliger ce dernier volet, essentiel pour la pérennité de l’entreprise ? Il faut qu’elle retombe sur ses pieds et soit prête à s’élancer dans la bonne direction au plus tôt, quitte à requérir l’assistance de compétences extérieures.

Cette assistance pourra d’ailleurs aider à traiter des difficultés relevant des deux premières priorités, par exemple améliorer en urgence le fonctionnement en télétravail et sa régulation, étudier les solutions d’économies pour optimiser la trésorerie, renforcer la solidarité interne (mentoring, peer-coaching…). Pour préparer la relance, une aide pourra aussi être la bienvenue dans les domaines marketing et commercial, financier, humain ou opérationnel (rationalisation de la production ou des achats par exemple).

Mais le plus difficile est de capitaliser immédiatement les leçons de la crise et de les convertir sans tarder en nouvelles orientations.

Dévouement au travail: désinfection du métro

Le dévouement, payé de retour ?

Car personne ne conteste que la pandémie, qualifiée de « game changer » par le ministre de l’économie Bruno Le Maire dès le 25 février dernier, ne modifie bon nombre de priorités, tant pour les individus que pour les gouvernements comme, bien entendu, pour les entreprises.

La crise du Covid-19 nous aura en effet montré les fragilités jusque-là insoupçonnées, ou sciemment ignorées, d’un monde dont la population a plus que triplé en un siècle : fragilité sanitaire d’abord, malgré la science et les équipements médicaux, mais aussi fragilité d’une économie basée sur des échanges internationaux à longue distance (commerciaux aussi bien que touristiques), fragilité même de nos acquis en matière de qualité de vie, voire de sécurité personnelle. Dans un registre plus positif, la crise aura aussi mis en lumière de remarquables exemples de solidarité, souvent organisés via les réseaux sociaux, et de dévouement professionnel de la part des nombreuses professions « en première ligne ». Les valeurs de solidarité et de service seront donc durablement en hausse, mais, pour ne pas casser ce ciment social, il ne faudra pas oublier de reconnaître ceux qui auront été à la pointe du service et du dévouement. Enfin l’épidémie aura fait prendre conscience de l’intérêt de disposer d’un État et de services publics efficients et capables de mener à bien leurs missions de sécurité, d’organisation et de prévoyance.  Ces prises de conscience vont accélérer certains changements qui couvaient déjà dans la société, ce qui va impacter lourdement les entreprises.

Premier impact stratégique et commercial : la prégnance du souci du local et de l’écologie. On ne pourra plus, en tous cas dans l’immédiat après-crise, vendre les mérites de la mondialisation, que ce soit en termes d’approvisionnement (le kiwi français sera donc vainqueur par K.O. du kiwi néo-zélandais sur le marché national, même s’il s’exportera peut-être plus difficilement), ou en termes de produits (les voyagistes devront présenter une offre plus responsable et plus sécurisée s’ils veulent continuer à proposer des vacances supposées paradisiaques à l’autre bout du monde.) Les sociétés qui sauront valoriser leur approche éco-responsable, locale et sécurisée, sauront capter l’attention de nouveaux prospects et clients. Selon le secteur d’activité, ce thème se décline en toute une série de transformations, et de nombreuses études sont nécessaires pour simuler et préparer les décisions appropriées et leur déploiement.

Logisitique, entrepôt, secteur vital de l'entreprise

Sécuriser les approvisionnements, condition de survie de l’entreprise.

Par exemple, comment sécuriser ses approvisionnements dans un monde où les relocalisations auront pour un bon moment le vent en poupe, autant que les délocalisations l’avaient eu il y a quelques années ? Les politiques d’achat continueront à s’intéresser aux pays bas-coûts mais avec davantage de précautions (la dépendance excessive des industries envers la Chine est en particulier remise en cause) et davantage de nearshoring (achats au plus près, par exemple en Europe orientale ou autour du bassin méditerranéen). Pour objectiver les arbitrages entre les coûts (achats et logistique) et la sécurité d’approvisionnement, de nouveaux outils permettant d’évaluer les deux termes du compromis seront à mettre en œuvre.

Autre exemple, le mouvement déjà engagé en faveur de la diminution des empreintes carbone va s’amplifier via des pressions de la part de l’opinion publique (dont font partie les clients et certains actionnaires) et parfois du personnel même des entreprises. L’usage des produits chimiques potentiellement toxiques va continuer à être traqué par les media et par des plates-formes d’information comme les applications Yuka (8 millions d’utilisateurs en France), Kwalito, ScanUp, Foodvisor, INCI Beauty, Clean Beauty, etc. L’opportunité de prendre l’initiative en termes de développement éco-responsable n’aura jamais été aussi claire…

Un code de conduite pour clarifier les attentes

Un code de conduite pour clarifier les attentes et donner du sens (exemple illustratif).

Un second domaine concerne la relation entre l’entreprise et son personnel. Plus que jamais, les valeurs de loyauté et d’attachement à l’entreprise auront été clé pendant cette période troublée, et le seront encore lors de la relance de l’activité. Dans de nombreuses entreprises, la période de confinement aura en effet nécessité, parfois à la demande expresse de l’employeur, un engagement fort, voire du dévouement de la part de tout ou partie du personnel pour garantir les fonctions essentielles de l’entreprise. Dans d’autre cas, la réduction d’activité prolongée et l’isolement physique auront porté atteinte au moral et à la motivation du personnel, accroissant les risques psycho-sociaux. Dans les deux cas, le « contrat social » non écrit qui lie l’entreprise et son personnel en sera affecté, et il sera indispensable que le caractère spécial du facteur humain dans le succès de l’entreprise soit pleinement reconnu. Certes, cette reconnaissance s’exprimera sans doute au travers de primes et de communications adaptées, mais cela n’est pas illimité, surtout en période de difficultés financières, et cela pourrait passer pour du business as usual. A circonstances exceptionnelles, traitement exceptionnel, le « nouveau contrat social » dont l’entreprise comme son personnel auront besoin passera par des démarches à adapter en fonction de la situation de l’entreprise et de son historique : renforcement de l’intéressement au résultat, dispositions pour développer les différentes dimensions de la qualité de vie au travail (contenu, environnement physique et organisation du travail, relations sociales, réalisation et développement professionnel, respect de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle), développement ou refonte d’une charte interne qui tout à la fois démontre le respect et l’appréciation de l’entreprise vis-à-vis de son personnel, et clarifie de manière transparente et sécurisante les attentes de l’entreprise en termes de comportement individuel et social.

Aucune de ces réflexions, études et décisions ne peut être repoussée à plus tard malgré la pression du jour le jour de la survie de l’entreprise, car, pour réussir son redémarrage, l’entreprise devra s’être préalablement adaptée au nouveau contexte qui aura émergé. Sur l’ensemble de ces thématiques, l’appui de compétences extérieures peut donc s’avérer stratégique.

Selon le dicton, on ne réfléchit que sous la contrainte. La crise du coronavirus est donc une occasion exceptionnelle de réfléchir et de se développer qu’il faut saisir.

(Article paru dans la lettre de XMP-Consult de mai 2020.)

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Covid-19: s’adapter en urgence et en profondeur

La crise du Covid-19 a montré les fragilités jusque-là insoupçonnées, ou sciemment ignorées, d’un monde dont la population a triplé en un siècle. Les entreprises doivent se saisir de ces prises de conscience, qui vont de toutes façons les impacter lourdement, pour s’adapter et se transformer en profondeur.

Les chefs d’entreprise pourraient se laisser emporter par l’avalanche de problèmes qui s’abattent d’un coup sur eux. Ils peuvent déjà trouver de l’aide auprès des pouvoirs publics et des organismes professionnels, voire des banques. Mais ils peuvent aussi trouver de l’aide d’abord auprès de leur propre personnel et partenaires, à condition d’avoir su générer avec eux des relations gagnant-gagnant.

Dans l‘article paru sur le site de XMP-Consult,  nous considérons aussi qu’il s’agit d’une opportunité majeure de transformer l’entreprise et de l’adapter non plus aux défis de demain mais à un contexte profondément modifié dès aujourd’hui. Cela peu aller depuis des réorganisations internes jusqu’à la remise en cause de certains axes commerciaux ou stratégiques. Et pour quoi pas, comme tant d’autres entreprises, remettre en place une politique globale de participation du personnel, de qualité de vie au travail et de clarification des codes de conduite. Et pour tout cela aussi, de l’aide est disponible, gratuitement, notamment au titre de l’opération XMP-Consult solidarité Covid-19. Ce serait le soleil après la tempête !

Lien vers l’article : https://www.xmp-consult.org/news/covid-19-une-occasion-exceptionnelle-de-se-transformer-et-de-se-developper-110#.XpWHvRhDcmc.linkedin

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